Où suis-je ?
Mon corps brûle. Aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur. J'ai l'impression d'être retourné derrière l'incinérateur. Pourtant, il n'y a aucune flamme. Seulement le néant. Ce n'est pas la chaleur qui me consume, non. Je me fais digérer. Cette haine que j'ai, il est en train de la dévorer.
Je l'alimente.
Le cœur ! Vite ! Je dois le trouver !
J'essaye de me déplacer en gesticulant dans tous les sens. Difficile d'être certaine d'avancer sans aucun repère. Je flotte simplement, à la merci de n'importe quelle créature tapie dans ces ténèbres.
Une question me percute. Elle a la violence d'un 35 tonnes, la précision d'une balle et la rapidité d'un éclair. Jamais je n'ai connu une peur si profonde. Elle n'est pas tant physique, ni même psychologique. Non, c'est une terreur bien plus insidieuse qui me foudroie en un instant :
« Est-ce que je suis morte ? »
Ce serait cohérent. Le rien absolu et infini qui m'entoure et me dévore. Mais alors, pourquoi est-ce que je ressens cette chaleur ? Je baisse la tête et aperçois mes pattes. Elles sont toutes petites, châtaines avec au bout un sabot. En louchant, j'aperçois les deux côtés de mon museau. De mes yeux part une tâche qui se termine vers mon museau. Je pense immédiatement à ma guéparde, sauf que les miennes sont bien plus grosses que ses larmes. Qu'est-ce que je suis exactement ?
Pas le temps de s'en préoccuper ! Je dois agir vite, pour sauver les habitants bien sûr, mais aussi pour me sauver moi-même. Chaque seconde que je passe ici est une torture insoutenable. Je m'emplis petit à petit de haine, comme si mon corps fusionnait avec celui de Lucy. Ce besoin monte, celui absolument vital de détruire quelque chose ou de frapper quelqu'un. Je finis par me dégouter moi-même, horrifié par ces pulsions qui sont à l'opposé de ma personne. Je me tourne et me retourne dans tous les sens, dans l'espoir d'apercevoir le cœur ou bien une lumière qui s'apparenterait à une sortie.
Je finis par apercevoir... quelque chose. Une sorte de reflet. Je me dirige vers lui en nageant dans cette mélasse invisible et finit par l'atteindre.
Le cœur du diable. Je le reconnaitrais entre mille. Ses reflets violets et rouge sont exactement les mêmes que dans mes souvenirs. Je ne comprends même pas ce qu'ils peuvent refléter puisqu'il n'y a pas de lumière. Aucune importance. Je dois le détruire.
Mon cerveau me hurle un ordre simple :
« Mords-le. »
J'en ai tellement envie. Le mettre entre mes dents et les broyer de toutes mes forces. Le transformer en miettes. Le réduire à néant et éparpiller cette poudre aux quatre coins du globe. Je l'attrape comme je peux avec mes sabots et l'approche de ma gueule grande ouverte. L'envie me submerge, comme si je m'apprêtais à mordre dans un beignet. C'est une véritable faim de loup que j'ai. Un besoin de faire souffrir cet enfoiré. Pour tout ce qu'il a fait. Pour Charly.
Charly.
C'est pour Charly. Pour Charly et tous les autres. Je ne dois pas céder à la tentation. Je dois rester forte. Penser à eux.
Le plan. Quel est le plan déjà ?
Le mordre.
Non.
Le piétiner, le brûler, le faire exploser.
Non ! Non non et non !
Je dois l'attraper avec mes mains. Je dois l'attraper et l'extirper hors du diable.
C'est ce qu'il faut faire.
J'essaye de le prendre, mais mes doigts glissent. Je regarde mes deux membres supérieurs, incrédule. Des sabots. C'est vrai. Je prends le cœur et le plaque dans ma fourrure pour que personne ne puisse me le prendre. La chaleur décuple. Il faut que je sorte et vite ! Je me débats et fonce aussi vite que possible dans une direction. J'y mets toutes mes forces, tout ce que j'ai, toute ma volonté et ma détermination. Je n'ai plus que ça. Faites que ce soit assez !
Une résistance. J'ai heurté quelque chose. Alors je force. Encore. Et encore. Je prends de l'élan et charge avec mes cornes. Une fois. Deux fois. Trois fois...
Je traverse un œil.
Moment de flottement. Le ciel. Je le vois. La pluie s'arrête presque instantanément. Alors que j'entame ma chute, les nuages gris laissent place à un bleu azur. Un rayon de soleil m'aveugle. Je ne pèse plus rien. Le vent caresse ma fourrure.
Le diable rétrécit dans un hurlement déchirant qui me décoche un sourire. Ça y est. On t'a battu enfoiré.
Mais je vais mourir... Pour de vrai cette fois-ci.
Fais chier.
Je prends de la vitesse. Si seulement j'avais des ailes. Je m'envolerais haut, très haut ! J'irai là où aucun Homme n'est allé avant. Je dépasserai Icare et foncerais droit vers cette lumière qui m'a tant manqué.
Je souris. Quitte à y rester, autant emporter Lucy avec moi. Et pour de bon cette fois-ci. Je serre le cœur de toutes mes forces et pense à mes amis, mais aussi aux habitants. J'espère qu'ils vont bien. J'espère que tout le monde va s'en sortir sain et sauf.
Mais plus que tout, j'espère que Charly va bien...
J'aimerais tant la serrer dans mes bras une dernière fois. Manger un dernier petit-déjeuner avec elle. Pouvoir goûter ses pancakes. Sentir son odeur. Entendre son rire et voir son immense sourire. Pouvoir caresser sa fourrure. Rien qu'une dernière fois.
Une dernière...
Le cœur se désagrège. Ce n'est plus qu'une fine poussière qui tombe avec moi avant de disparaître complètement. Je ferme les yeux. C'est bientôt fini.
Merci Charly. Merci pour tout.
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Là où le diable se terre
ParanormalEmily va accepter un poste de bibliothécaire de l'autre côté des États-Unis, dans une petite ville portuaire de l'Oregon pour prendre un nouveau départ. Alors qu'elle y emménage avec l'intention de vivre une petite vie paisible, loin des tumultes de...