Je heurte quelque chose.
Le ciel est bleu. Un bleu immaculé. Je vois des épicéas, puis des têtes qui se penchent au-dessus de moi.
Est-ce que je suis en vie ?
Ils ont la peau foncée. Une teinte cuivrée, comme s'ils étaient restés trop longtemps au soleil. Certains me sourient tandis que d'autres pleurent. Qu'est-ce qu'il se passe ? Je descends encore un petit peu et fini par toucher le sol si ferme et robuste. Et pourquoi sont-ils complètement nus... Si c'est ça le paradis, on est loin des promesses vendues par l'Église.
« Emily ! »
On hurle mon prénom au loin. Il me faut quelques instants pour comprendre où je suis, puis que je peux bouger. Je me relève et réalise que je suis humaine. Mais surtout... que je suis vivante. Je crois. C'est en tout cas ce que m'indiquent les nombreuses douleurs qui tiraillent mon corps.
Un choc dans mon dos. Des bras qui m'enlacent. Je reconnais immédiatement ces doigts fins aux ongles courts. Je me retourne et prends Charly dans mes bras. Je l'enlace fort. Si fort. Pour que nos cœurs soient se rapprochent. Pour que plus jamais qui que ce soit ne nous sépare. Pour lui montrer à quel point je l'aime.
« J'ai cru... Je ne savais pas si... »
Mes mots sont hachés par mes sanglots. Ma vision devient floue, inondée de larmes. Peu importe. Je la vois elle, c'est tout ce qui m'importe.
« T'as quand même pas cru que j'allais crever ! Il n'est pas né celui qui m'enterrera j'peux t'le dire ! »
Elle pleure à chaudes larmes, mais un grand sourire éclaire son visage.
« Et toi, t'as quand même pas cru que j'allais mourir ? plaisanté-je, toujours incertaine quant au plan de l'existence où je me trouve.
— Noooon, pas du tout ! »
Elle essaye d'essuyer son visage avec sa manche, sauf qu'elle n'en a pas. À vrai dire, elle n'a pas de vêtements. Et moi non plus. Le fruit défendu à un goût amer. Je rougis comme une conne.
« Tu viens d'échapper à la mort et tu t'inquiètes qu'on t'voit à poil ? se moque Charly.
— T'façon j'vais devoir m'y habituer si j'reste vivre ici. »
Elle m'enlace de plus belle à ces mots. Toute la bande –même Adam !– débarque à son tour, suivie du capitaine, de Daniel et de tous les habitants d'Oddly Bay. Tous observent d'un œil suspicieux ces Amérindiens qui pleurent de joie et se prennent dans leurs bras. Puis d'un coup, l'évidence :
« Ils se sont retransformés ! »
Le mot se répand comme une trainée de poudre. Personne n'en croit ses yeux. Les adversaires du village, les démons qui les ont tant persécutés, les monstres qu'ils ont chassés et enfermés pendant des décennies. En réalité, ils n'étaient que de simples natifs prisonniers du diable. L'un d'entre eux s'approche de Charly et moi. Nos deux chefs de la sécurité s'interposent, méfiants. On les rassure pour qu'ils restent en retrait puis l'homme d'un certain âge se met à nous parler dans un dialecte absolument incompréhensible.
« Si seulement mamie était là... dis June.
— Elle te dirait que tu aurais dû apprendre le Siuslaw jeune fille ! »
Je reconnais la voix de mamie Susie qui joue des coudes pour arriver à notre niveau. Est-ce qu'elle s'est battue elle aussi ? S'en suit alors une traduction en flux tendu de cette figure que l'on devine être le chef de la tribu.
« Ils vous remercient de les avoir libérés. Il explique que vous attaquer était la seule manière qu'ils avaient d'espérer être un jour libéré de cette torture, qu'ils ne contrôlaient pas leurs corps ni leurs pulsions. Ils s'excusent aussi, profondément, pour tout le mal qu'ils ont commis. Pour finir, ils tiennent à vous dire à quel point ils sont impressionnés par le courage que vous avez eu toutes les deux.
— Comment ça ?
— Si je comprends bien –et je suis sûre de bien comprendre–, tous leurs esprits étaient connectés les uns les autres. Une sorte d'esprit de ruche dont toi, Charly, tu faisais partie depuis ta naissance. Quant à toi Emily, tu as fini par le rejoindre sans t'en rendre compte. Grâce à ça, ils ont pu suivre chacune de vos actions. »
Cette nuit-là, sur la plage. Lorsque j'ai aperçu l'esprit de Charly. Est-ce que j'aurais capturé un fragment de sa part ohanzee ? À moins que notre connexion ait suffi...
Les quelques milliers d'Amérindiens se mettent alors à genou et baissent la tête. Ils répètent les mêmes mots en boucle. Pas besoin de traduction pour ceux-là. Probablement des excuses, des excuses pour toutes ces années passées à tourmenter Oddly Bay. Face à ce geste, les habitants sont émus. Ça doit être un tel choc pour eux. Pendant tout ce temps, ils ont haï des prisonniers qui ne faisaient qu'obéir aux ordres. Ces mêmes créatures qui les effraient depuis qu'ils ont l'âge de parler et qui ne viendront plus jamais les embêter. Le cauchemar se termine, enfin.
Des wakizas s'approchent de Daniel en hurlant, remplis d'une joie indescriptible qui illumine leurs visages. L'un d'entre eux tient un petit caillou tout noir à bout de bras.
« Le diable ! On l'a capturé ! »
Ils le tendent à Daniel qui, immédiatement, s'apprête à le lancer par terre pour l'écraser. Charly s'interpose et lui explique que si on souhaite le maintenir prisonnier, c'est de l'amour que l'on doit lui donner et non de la haine. Pour une fois, il nous croit sans opposer de résistance. Ils nous fais confiance. Le sourire qu'il m'envoie est radieux, rempli de fierté, mais aussi d'embarras. Il pose un genou à terre et baisse la tête. Ses soldats le regardent avec une surprise sans précédent. Leur chef, s'agenouiller ?! Qui plus est devant les ohanzees et une étrangère !
« Nous aussi devons des excuses à ces hommes et ces femmes. Mais avant tout, je tiens à m'excuser envers toi Emily. Pendant ta chute, nous avons tous vu ton esprit. Et il est bon. Très bon même. Plus que la majorité d'entre nous. Nous t'avons mal jugé et pour ça, je te présente toutes mes excuses. À toi, mais aussi à ta bande. »
Les habitants se mettent à genoux à leur tour avec plus ou moins d'entrain, même le capitaine. Au bout de quelques longues secondes, nous ne sommes plus que tous les cinq debout au milieu de cette mer de remerciements. Je rougis et balbutie quelques mots pour leur dire que ce n'est pas la peine d'en faire autant. Mais ils restent à genoux, pour nous, mais surtout pour les Amérindiens.
« Donc c'est vrai, tu vas vraiment rester avec nous ?! me demande Charly avec des étoiles dans les yeux.
— J'en ai bien l'impression ! Qui va t'empêcher de faire des conneries sinon ? »
Elle se jette sur moi et l'on s'écroule au sol en souriant.
Je n'arrive pas à y croire. On a battu le diable, on a sauvé les Ohanzees et le plus fou dans tout ça, c'est qu'on est en vie.
Je suis plus vivante que je ne l'ai jamais été.
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Là où le diable se terre
ParanormalEmily va accepter un poste de bibliothécaire de l'autre côté des États-Unis, dans une petite ville portuaire de l'Oregon pour prendre un nouveau départ. Alors qu'elle y emménage avec l'intention de vivre une petite vie paisible, loin des tumultes de...