« Que voulez-vous ?
— Les Ohanzees sont plus forts que jamais et assiègent notre hameau. Ils parviendront à pénétrer nos défenses sous peu et ne feront aucun quartier. Nous venons donc demander votre aide.
— Où est le cœur ? »
On se regarde, embarrassé. Elle se retourne vers son compagnon et lui dit quelques mots qui le mettent dans une colère noire. Il se met à nous hurler dessus un court instant avant de se mettre à tousser dans un mouchoir en tissu sorti de sa poche.
« Nos ancêtres ont dit ! Le cœur doit être détruit ! Détruit ! »
Elle soupire puis fixe le vide quelques instants. Sa poitrine qui se relève à un rythme effréné se calme petit à petit tandis qu'elle ferme ses paupières pour se concentrer sur sa respiration. Une fois calmé, son mari Cheyton se remet à parler dans sa langue morte en nous regardant cette fois-ci, le ton plein de reproches. C'est énervé qu'il se lève de nouveau et disparait dans l'autre pièce, sans l'aide de son déambulateur. La colère doit l'aider à tenir debout.
« Comment pouvons-nous le détruire ? » finis-je par demander, agacée que cela prenne autant de temps. Ama dit quelque chose à voix haute et son homme revient avec un plateau dans les mains remplies de tasses et d'une espèce de théière en terre cuite. Le capitaine veut se lever pour l'aider, mais sa compagne attrape sa canne et la pointe vers lui pour le sommer de se rassoir. Le vieil homme finit par arriver, lentement mais sûrement, puis pose le tout sur la table basse.
Il y a pile huit tasses, toutes d'une autre époque. Le récipient qui contient ce que je devine être de l'eau fume. À côté repose un petit bol rempli d'herbes séchées aux couleurs bien étranges. Elles sont recouvertes d'une poudre aux reflets bleue des plus intrigantes.
« Je n'ai pas les mots pour dire dans votre langue. Pour savoir, il faut faire la cérémonie. »
On se regarde tous les cinq avec la même question sur le bout des lèvres : dans quoi est-ce qu'on s'embarque ? Notre hôte verse l'eau chaude dans toutes les tasses avec précaution. Sa main tremble sous le poids de l'objet et quelques gouttes finissent leurs courses sur le napperon. Elle prend ensuite un pilon et écrase ces feuilles jusqu'à en faire une espèce de poudre. Elle en verse une partie dans chaque tasse. Dès que la mixture rentre en contact avec l'eau, elle se mélange instantanément et transmet sa belle couleur au liquide.
Cette opération lui prend plus de cinq minutes. Cinq très longues minutes pendant lesquelles nous ne disons absolument rien par peur de déranger cette dame qui ne semble pas porter nos ancêtres dans son cœur.
Nos ancêtres... Je vais finir par me persuader que je suis née à Oddly Bay.
Cheyton craque une allumette, puis met le feu à l'extrémité d'un drôle d'objet. Un espèce de bâton d'herbes blanches enroulées. La fumée envahit rapidement la pièce, amenant avec elle une forte odeur plutôt relaxante. J'imagine qu'il s'agit d'un genre d'encens. J'apprends au passage le prénom du directeur du casino, Eric, qui se fait sermonner par Ama après avoir essayé de boire avant tout le monde.
Une fois la pièce remplie de cette odeur et les tasses préparées, Ama nous invite à boire le breuvage d'une seule traite et à l'unisson. On continue de s'échanger des regards, curieux de la suite des évènements. Eric a l'air aussi perdu que nous, ce qui a le mérite de me rassurer d'une certaine manière. De toute façon, au point où nous en sommes, hors de question de faire demi-tour.
Le goût est abject, mais personne ne le mentionne face au sérieux de nos hôtes. L'odeur finit par nous détendre, probablement aidée par le breuvage. Mon corps devient plus léger, beaucoup plus léger, comme si la gravité décidait de me libérer de son éternelle emprise et de me laisser m'envoler.
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Là où le diable se terre
ParanormalEmily va accepter un poste de bibliothécaire de l'autre côté des États-Unis, dans une petite ville portuaire de l'Oregon pour prendre un nouveau départ. Alors qu'elle y emménage avec l'intention de vivre une petite vie paisible, loin des tumultes de...