✧ Chapitre 30 ✧

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Malgré l'absence des officiers, tous les matelots se mirent au travail pour ranger la nouvelle cargaison dans la réserve du navire. Chaque objet trouva sa place dans une malle, sur une étagère ou à l'intérieur d'un baril.

Contrairement à leur habitude, ils accomplirent leur besogne en silence. Aucun bavardage ne les distrayait. Ils semblaient calfeutrés à l'intérieur d'une bulle individuelle, qu'ils gardèrent close toute la journée. L'incompréhension, le deuil, la tristesse, la colère et la rage s'exprimèrent uniquement à travers quelques regards échangés ou esquivés.

Ce jour-là, la mer fut silencieuse.

Une fois la cargaison déchargée et son contenu stocké, les deux capitaines ordonnèrent la levée de l'ancre. Les voiles furent relâchées et projetèrent leur ombre majestueuse sur le pont supérieur du navire. Leurs toiles blanches s'agitèrent légèrement, tel un mouchoir qu'on agitait pour saluer la terre quittée. En hommage aux âmes qu'ils avaient perdu en cette triste journée, le pavillon resta baissé. Sans ce dernier, le Liberate n'était plus qu'une simple embarcation pleurant la disparition de ses trois matelots.

Très rapidement, la terre à l'origine de tous leurs malheurs ne fut qu'une maigre ligne sombre à l'horizon.

*

Les heures qui suivirent leur départ furent d'une lassitude peu commune. Personne ne fut assez motivé pour contrer l'ambiance maussade qui planait à bord, malgré la distribution des affaires ramenées de Wéliven.

Par exemple, certains matelots eurent le droit à de nouvelles chaussettes. Les plus chanceux reçurent une chemise pour remplacer l'une des deux qu'ils portaient au quotidien. Ce fut le cas pour Thomas qui, rappelons-le, avait déchiqueté l'une d'entre elle lors d'une attaque de sirènes. Mais ce que tous attendaient véritablement, c'était le repas du soir qui leur serait servi avec de bons mets frais. Ce luxe leur était inhabituel, alors ils furent impatients d'y avoir droit.

Gibbs, leur cuisinier, sut heureusement ravir leurs papilles. Malgré ses compétences culinaires parfois quelque peu douteuses, il savait travailler à merveille les ingrédients continentaux pour en faire un vrai festin. Ce fut l'occasion attendue pour retrouver un peu de bonne humeur après les événements dramatiques de la matinée.

Ce soir-là, les verres de rhum s'élevèrent au souvenir de Jacob, Al et Malvyn qui ne seraient plus jamais présents pour trinquer à leurs côtés comme ils l'avaient fait durant vingt longues années. Quelques accolades encourageantes furent échangées, accompagnées de sourires et de larmes. Tous savaient pertinemment que malgré la disparition de leurs frères aimés, la vie continuait pour eux.

Sur mer comme sur terre, le temps ne ralentissait pas. Même pour les pirates les plus puissants de Meeryn.

Thomas fut de ceux qui n'eurent pas grand appétit ce soir-là. Il ne but pas son verre de rhum habituel, ni de participa aux bavardages des membres de l'équipage. Sa camarade de bétises, Thaalya, ne s'était pas montrée lors de ce dîner. Sans doute avait-elle préféré rester aux côtés de sa famille pour cette soirée délicate. En tout cas, il resta relativement silencieux tout au long du repas, intervenant seulement pour demander à ce qu'on lui passe la corbeille de fruits frais quand il eut envie de goûter aux pommes wéliviennes.

Toute la soirée, il eut l'étrange impression de ne pas être à sa place, d'être un parfait inconnu au milieu d'une famille endeuillée. Aucune larme ne s'était échappée de ses yeux, contrairement à ceux de ses coéquipiers. Il n'avait pas non plus ressentit la douleur affligeante qu'ils ne cessaient d'évoquer à voix basse autour de la table, comme un secret mal gardé. Thomas observa même certains hommes s'éclipser au milieu du repas et ne jamais revenir, sans doute trop affligés par les événements pour rester ici.

Meeryn's Tales - Edimas : Tome 1 [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant