Prologue

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Londres, Angleterre

Mercredi 23 août

[Evelyna]

Mon parapluie dressé au-dessus de la tête, je fixe la pierre tombale de mon père. Le temps est à l'effigie de mon humeur : morne.

Voilà un mois que mon paternel est mort assassiné. Suis-je triste ? Bien sûr, je l'aimais et il m'a toujours bien traitée. Mais suis-je surprise ? Pas du tout. Se faire tuer lorsqu'on est un cybercriminel est un risque du métier. Il le disait lui-même, ça lui pendait au nez.

— Franchement, papa, tu aurais dû te ranger.

Jake Robert était informaticien dans une petite entreprise privée située à Londres. Cependant, il exerçait dans l'ombre une activité bien plus douteuse. La justice l'a traqué des années sans jamais le débusquer. Elle n'a jamais su qui se cachait derrière le nom « Cyber Zodiac ».

Oui, ce pseudonyme est ridicule, mais c'est ainsi qu'il a décidé de se faire appeler dans le monde du crime. Aux yeux des autres, il ne valait guère mieux qu'un hacker hors-la-loi, mais aux siens, mon père était un justicier. Il ne s'en prenait qu'aux personnes qui dissimulaient de vilains secrets. Ce second travail lui a valu beaucoup d'ennemis. J'ai arrêté de compter leur nombre il y a bien longtemps.

Toutefois, ignorant sa véritable identité, très peu d'entre eux ont pu l'atteindre. L'un d'eux est parvenu à le débusquer et à se venger il y a quelques années, la cicatrice sur le côté gauche de mon visage en témoigne.

Aujourd'hui, un autre de ses innombrables ennemis est arrivée à ses fins. J'ignore qui est le responsable de sa mort, mais il doit être fier.

Une main chaude se pose sur mon épaule, me sortant de ma contemplation sinistre. Je tourne la tête et lève les yeux vers tante Esther. Seul mon œil droit peut discerner son expression navrée, le gauche ne fonctionne plus depuis longtemps. Depuis mes huit ans, en fait.

— On devrait rentrer, me lance-t-elle doucement. Il pleut des cordes.

J'acquiesce en silence et reporte mon attention sur la pierre tombale.

— Prends soin de toi, papa.

Il ne me reste rien de lui. Pas même son nom de famille. Après l'incident qui m'a valu cet œil aveugle et cette horreur qui défigure la moitié de mon visage, il a décidé de couper notre lien de filiation en changeant mon nom de famille. Il m'a donné celui de sa grand-mère maternelle. Passer d'Evelyna Robert à Evelyna Bailey a marqué la fin de notre parenté sur le papier. Je ne lui en ai jamais voulu. Il a fait ça pour me protéger et aujourd'hui, à l'âge de vingt-et-un ans, je comprends plus que jamais sa démarche.

Il est mort, pas moi. Son assassin devait ignorer que j'étais sa fille, ce qui explique sans doute pourquoi je peux continuer à vivre.

Il aurait pu me donner le nom de ma mère, mais à quoi bon donner le patronyme d'une femme qui m'a abandonnée le jour même de ma naissance ? Elle a regretté ma venue au monde dès qu'elle m'a entendu pousser mon premier cri et elle est partie.

Sincèrement, je ne lui en veux pas. Toutes les femmes ne sont pas faites pour être mères. Et puis, mon père s'est bien occupé de moi. Je n'ai jamais manqué de rien, que ce soit sur le plan matériel ou affectif. Ma génitrice a repris contact avec moi l'année de mes dix-huit ans. Nos échanges se limitent à un bon anniversaire et à un joyeux Noël. Nous ne sommes rien de plus que de simples connaissances et ça nous convient à toutes les deux.

Je mets fin à mes pensées concernant ma situation familiale particulière et soupire.

— D'accord, allons-y, dis-je à ma tante.

Elle est la sœur aînée de mon père. C'est une puissante femme d'affaires dont l'empire s'étend au Royaume-Uni et en Europe. Néanmoins, je sais que derrière cette image de businesswoman irréprochable se cache une véritable magouilleuse. Son frère le savait aussi. Je trouve ça ironique qu'elle soit typiquement le genre de profil que mon père se faisait un plaisir de dénoncer.

La criminalité doit être de famille. Ça en dit long sur mon avenir.

Ma tante et moi traversons le cimetière et rejoignons sa berline. Je ferme mon parapluie et pénètre ensuite dans l'habitacle. Ces quelques secondes exposées à la pluie ont suffi pour tremper ma chevelure.

Génial.

J'ouvre la boîte à gants à la recherche d'un mouchoir pour essuyer l'eau qui dégouline sur mes tempes lorsque je tombe sur une enveloppe qui s'adresse à moi. À mes côtés, j'entends ma tante se figer. Je me tourne vers elle.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Une lettre pour toi. Je voulais attendre qu'on arrive chez moi pour te la donner. Mais maintenant que tu l'as en main, ouvre-la.

Curieuse, je déchire soigneusement le haut du papier. Je sors une feuille plier en trois et la première chose qui attire mon regard est un dessin de roses dans un blason.

Je la déplie et la parcours rapidement. C'est une lettre d'admission dans une université.

Après la mort de mon père, ma tante m'a conseillé de changer d'établissement scolaire. Malgré les précautions de son frère, elle craint pour ma vie. J'ai trouvé son attention touchante et je n'ai aucune objection à changer d'établissement scolaire. Je viens de finir mes trois années de bachelor's degree en commerce et entamer un master ailleurs ne pose pas de problème. De toute façon, je n'avais aucun cercle d'amis, aucune attache. Cette situation, je la dois à la partie gâchée de mon visage.

Ce n'est pas grave que les gens me jugent. J'ai l'habitude. Ça dure depuis treize ans.

Le harcèlement et la solitude sont devenus les ingrédients de mon quotidien. Je les supporte comme on est obligé de supporter le froid de l'hiver et la chaleur de l'été. Je porte constamment mon armure de résignation, qui m'offre une indifférence et un détachement de façade. Toutefois, on oublie trop souvent, moi la première, qu'une armure, ça pèse lourd. Et au fil du temps, son poids alourdit un peu plus mes épaules.

En prime, l'université dans laquelle ma tante m'a fait admettre grâce à ses relations n'est pas n'importe laquelle. Elle est connue pour sa réputation prestigieuse, bien que les rouages qui régissent son intégration restent un mystère. Les résultats et l'argent ne sont pas des critères suffisants, ce qui nourrit de nombreuses rumeurs à son sujet.

— Hillmore University, lis-je à haute voix.



PERFECT ENEMIES [T.1 & T.2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant