Mélangés à la cohue qui peuple le port, nous progressons dans ce nouveau monde au sol rouge et craquelé. La terre se soulève en nuages de poussière ocre et m'arrache un bouquet d'éternuements. Du bout de ma cape, j'essuie mon nez particulièrement sollicité lorsqu'un badaud me frôle. Je retrouve aussitôt ma prudence. Une main plaquée contre ma besace pour la protéger des bandits en haillons, l'autre à l'aumônière pour la défendre pareillement, j'avance dans le sillage de Paole. Ses boucles blondes flottent au-dessus des cheveux sombres et des capuchons gris.
Les figures poudreuses se ressemblantes toutes. De jeunes adultes déjà vieux, aux lèvres sèches, fêlées, aux pas trainants et fatigués alors qu'ils amarrent les embarcations, les déchargent ou les briquent. Le labeur coule en sueur sur les fronts souillés. Là, ils tirent, portent, charrient, échangent des sacs de victuailles, des monceaux de bois, de métal ou de draps. Ici, ils marchandent, chantent et négocient. Là-bas, ils perdent patience et s'empoignent au collet. Dans ce chaos accordé – tel un curieux instrument de musique –, Paole échappe peu s'en faut à mon attention. Il se déplace rapidement, jetant son regard dans toutes les directions pour trouver l'enfant. Parfois il s'arrête, montre le dessin à quelques locaux qui dénient la connaître, acquiesce en souriant, puis reprend son investigation. Mes recherches à ses côtés s'avèrent tout aussi vaines.
— Séparons-nous, propose Paole au bout d'une heure d'errance. Que chacun de nous cherche de son côté. Nous nous retrouvons à La Brayeva Victa dans une heure. Je partirai par là... et vous par ici. En nous répartissant mieux les quais, peut-être aurons-nous plus de chance de la trouver.
— D'accord.
— Avez-vous mémorisé le visage de la petite ?
— Oui.
— En êtes-vous certain ? insiste l'artiste.
— Parfaitement certain.
— Et son nom ? Vous en souvenez-vous ?
Son nom... Je passe un doigt sur mes lèvres en réfléchissant à la bonne réponse.
— Je... Non, avoué-je, penaud.
— La fillette se prénomme Yokemi. Yokemi Me...
— MENYNOA !
Je me retourne en sursaut, le sang glacé de surprise. L'homme qui vient de rugir écarte les passants de sa route et reprend sa course. À plusieurs foulées devant lui, une courte silhouette drapée de brun tente de lui échapper.
— Arrête-toi, Menynoa ! mugit encore l'animal.
L'inconnu s'est exprimé en langue commune – ma langue, cet idiome simple et efficace que l'on parle dans la plupart des mondes-partiels. L'artiste et moi-même échangeons un regard médusé. Nous saisissons l'enjeux au même instant alors que la fugitive et son poursuivant passent en trombe juste devant nous. Paole s'engage dans la poursuite. Bon sang ! Je m'élance à leur suite.
J'évite les gens, les tonneaux, les chargements tandis qu'un nouvel obstacle entrave régulièrement ma course. Je me baisse, me redresse... La cohue s'offusque, aboie sa colère. Tant pis. Je saute. Je danse. J'étouffe. Esquiver devient mal aisé. Un coude dans les côtes. Un coup dans l'épaule. Un choc entre les omoplates. Je trébuche sur une ombre, tangue, chute ! Le spectacle est terrible... Lamentable. Je me relève aussi vite que possible... J'ignore muscles et articulations – peu coutumiers de l'effort – qui protestent en harmonie. Mais le déni ne dure pas. Je ralentis, trottine. Essoufflé. Éreinté. Le trio reste en vue – la chevelure dorée de Paole reste en vue. La foule congestionne les allées. Comme moi, l'enfant, le traqueur et l'artiste progressent avec de plus en plus de difficultés.

VOUS LISEZ
Le Sens
ФэнтезиÉtouffé par l'ennui, Layth, jeune poète, veut changer la trame de sa vie. Lorsqu'il rencontre Paole, dessinateur talentueux et mystérieux voyageur, il saisit l'opportunité qui se présente à lui ! Tous deux embarquent pour un périple khométéen, trave...