24. Le supplice

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⚠️ violences physiques et psychologiques, sang, torture, mort ⚠️

***


Comment appeler à l'aide ? Respire, Layth... Respire. Comment crier qu'on a besoin d'aide lorsqu'on n'a plus de voix ? Comment émettre le moindre son quand on peut à peine respirer. De toute façon, il n'y a personne pour m'entendre... Englouti, inondé, noyé... des flots de détresse qui veulent me dévaster. Au... secours... Autour, tout autour, il n'y a que le néant, la densité absurde du vide qui prend toute la place, l'obscurité tangible d'un monde qui se fracasse... Comment appeler à l'aide ? La pression m'étouffe, m'asphyxie. Je tremble. De froid. De peur. Mon être est au supplice... J'ai... j'ai mal. Les éclats me déchirent l'esprit... M'en sortir ? Qui est là ? Je ne peux compter que sur moi-même, n'est-ce pas ? Persévère... Pourquoi est-ce que je n'y parviens pas ? Tu as le droit de t'extirper de ton carcan de solitude. Au secours... Tu as le droit de t'accrocher à une autre âme que la tienne. Je t'écoute, Layth... je t'écoute. Je suis seul, désespérément seul... Non... Nous sommes tous terriblement, cruellement, infiniment seuls, n'est-ce pas ? Que le monde s'écroule ! Non ! Qui peut tolérer une telle douleur sans se perdre dans la folie ? Comment hurler qu'on se meurt ? De toute façon, personne n'écoute... Comment prier quand les divinités se sont violemment détournées ? J'ai besoin de toi... Jamais, je ne pourrai l'avouer. J'essuie mes larmes et lève la tête. Obscurité. Cruelle opacité. Elle ne bouge pas. Elle s'est figée. Je déglutis et me pince le nez. Je n'en peux plus de cette immonde odeur d'urine... de mon urine... Un couinement dans un coin de la cellule. Un rat. Je me recroqueville... Au secours... L'eau salée me trempe le visage, me submerge. Je me meurs, je crois. Je veux sortir... Mon estomac se cambre comme la famine le creuse... J'ai mal. Je me plie, me replie, jusqu'à craquer mes os et brûler mes muscles. Respire... C'est impossible. Soudain un hurlement me percute les tympans. Quelque part dans la geôle, un captif combat sa propre folie. Je serre les paupières encore plus fort et presse mes paumes contre mes oreilles. Le braillement retentit une nouvelle fois...

— Ta gueule.

Les pas du garde se rapproche de moi. Les barreaux laissent passer sa silhouette massive au moment où je dresse le cou. Une boule de feu, halo lumineux dans les ténèbres, éclaire la cage désolée dans laquelle quatre pauvres âmes sont enfermées.

— Qui a crié ? demande le Xhiemen d'un timbre si menaçant que mon cœur s'arrête.

Il parle en langue commune. Sans accent.

— Qui a bafoué nos ordres ?! crache-t-il.

Seul le rat ose lui répondre, chicotant.

— Allez, allez ! s'impatiente l'homme en jouant avec son sabre... Dites qui a crié, sales traîtres ! Allez, balancez ! Si personne n'avoue... tout le monde paiera.

J'avale difficilement ma salive tandis que le bourreau s'approche d'une première silhouette chétive. Je me sens trembler autant que l'être en danger...

— Dévêtis-toi.

Le prisonnier ne bouge pas.

— Dévêtis-toi ! réitère le garde. Montre-moi ton dos... que je le lacère.

La lame fauche l'air, rompt le silence et mange la chair. Le hurlement me glace les os. Je serre les dents, les poings, les jambes... Je me rétrécis autant que possible alors que le sabre sévit à nouveau dans un chaos déchirant de voix étranglées. Puis, plus rien. Une sordide accalmie suit la tempête mortelle. Je lève mes yeux humides... Un corps, tailladé par les coups, gît inerte sur la pierre ensanglantée. Mon estomac me surprend et je vomis un filet glaireux en pleurant.

— Qui est décidé à parler, maintenant ? Pour la dernière fois, bande de crevards... Qui nous a manqué de respect ? Qui. A. Osé. Crier ?

J'ai la tête qui tourne comme une démente... Pourtant, je perçois la cadence terrible, mauvaise, cruelle, des bottes qui se rapprochent de moi.

— Vous vous mordez la langue, hein. Alors je vais m'amuser un peu avec chacun d'entre vous !

L'homme s'accroupit, plante son regard aliéné, sadique, dans mes pupilles embuées avant de me... Je porte une main à ma joue brûlante, suffoqué par la gifle puissante. Respire, respire, respire, resss... Je n'y arrive pas... Je n'y arrive plus... Le sabre me déchire lentement l'épaule, je crois, pitié, aidez-moi, un coup de pied me broie le flanc, la douleur... Je... enfin, je... Puis les coups se succèdent, encore et encore et encore et encore... jusqu'à ce que ma conscience s'éteigne.


...


...


...


Aïe. Quelle horreur, bon sang... je... j'ai... tellement mal... Comme si un glaive me fendait le crâne de part en part... Je sens à peine mes membres, mes muscles, mes organes. Tout est détruit, anéanti... Ne reste que la souffrance brute, physique... Je tente d'ouvrir les yeux. Je décolle une paupière sur deux... Le monde, tout embrouillé, tangue, bascule ! Au secours... J'abaisse ma paupière. Je n'essaye même pas de m'assoir. Je ne peux pas me redresser. Ma joue s'est imprimée dans le sol rugueux... Une épée me pourfend le crâne de part en part, oui, de manière continue tandis que les larmes gouttent, glissent, coulent de leur propre chef. Je perçois les vagues sur mon visage brûlant. Resss... Non. Je ne saisis pas. La violence. Les gens. Le passé. La vie. Plus rien n'a de sens. N'y en a-t-il jamais eu ? Pourquoi suis-je incapable de me défendre ? de me battre ? de me détourner ? d'articuler les mots que je veux prononcer ? Pourquoi ne puis-je faire les mouvements que je désire ? Quel processus m'empêche d'obtempérer à ma propre volonté ? Parler. Agir. Combattre. L'entrave est invisible, intangible, impalpable. Je ne peux même pas sécher mes joues. Je ne peux que sangloter – un hurlement de détresse coincé dans la trachée... et me laisser engloutir par la douleur...


Je réouvre l'œil qui n'a pas gonflé, puis tente de me focaliser sur le bruit. Mis à part les bourdonnements qui vrillent mes tympans, il n'y a pas de son. Le calme règne enfin sur la prison. Je renifle. Le parfum nauséabond m'agresse les narines. Bon sang... Je ne vois rien. Je demeure incapable d'effectuer le moindre mouvement. Mon corps se consume de souffrance... Resss... Au moins, le gardien xhiemen ne s'en prend plus aux captifs... Captif... Sortez-moi de là, bon sang ! ... Qui appelles-tu, Layth ? Quoi ? Penses-tu sincèrement que quelqu'un viendra te sauver ? Non. Non, je ne le pense pas. Paole est mort. Et l'espoir est mort avec lui.

Le SensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant