32. Les retrouvailles (2/2)

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Je descends à la suite du guérisseur jusqu'aux profondeurs de la demeure impériale. Sans qu'il ne l'ait demandé, je lui raconte mes aventures. J'ignore réellement pourquoi... Peut-être parce qu'il m'a sauvé la vie, ou parce qu'il se montre si taciturne qu'il me faut remplir le silence... Enfin... À Tomasz, je conte toutes mes péripéties dans le palais depuis notre séparation : la mort de Paole, la rencontre avec Yuna, la capture des Zu'Hang. Lui m'écoute, parfaitement muet. Parfois, il hoche la tête en signe d'intérêt. Finalement, nous arrivons au bas des marches et mon sauveur se tourne vers moi.

— Je regrette Paole. Désolé, Layth.

Je n'ai rien a répliqué. Les mots me font défaut. Il n'y a rien à ajouter, Layth. Respire, doucement... Puis Tomasz se détourne avant de s'aventurer dans le conduit, guidant notre duo dans la geôle du deuxième sous-sol. Là, nous passons devant plusieurs cellules. À l'éclat de la lampe du guérisseur, nous découvrons que celles-ci sont inoccupées... jusqu'à ce qu'enfin, une silhouette se dessine derrière une grille béante. Une masse de cheveux noirs camoufle le visage de la femme couchée sur sa paillasse, éperdue dans un sommeil serein. La femme est nue. Sale. Méconnaissable.

— C'est elle, assure pourtant Tomasz. C'est Chuko.

Alors il pénètre dans la prison, s'approche davantage pour examiner son amie. Je le suis prudemment avant de m'arrêter net. L'odeur du sang m'emplit les narines et me suffoque... Une vague de panique me submerge tandis que Tomasz se tourne vers moi, le faciès aussi sombre que les ombres qui nous entourent. Il n'articule pas une syllabe... Pas besoin. Je comprends. Aussitôt, les larmes éclaboussent mes joues. Et je pleure en silence, ébranlé face à la mort...

Pourquoi ne pas opter pour la paix, bon sang ? Pourquoi ne pas conclure une trêve ? s'intéresser à l'inconnu, à l'ennemi ? Pourquoi ne pas écouter l'esseulé ? Pourquoi ne pas se regarder jusqu'à avoir les yeux secs ? Respire. J'ai le cœur qui tremble du sens qui lui manque, qui lui échappe... Tout ce sang... Toutes ces vies... Tous ces esprits égarés dans le même chaos. Pourquoi ne pas jeter les armes et échanger un sourire pour égayer l'obscurité ? Pourquoi... ? Je ne comprends pas et l'ignorance blesse. Toutes ces âmes croisées le jour et oubliées la nuit... Pourquoi cette indifférence froide ? ce mépris glacé ? Pourquoi cette errance des regards et cette peur figée dans l'iris ? De crainte d'être mal compris, on se tait, on se terre... De crainte d'échouer, on n'essaye plus... De craindre de perdre, on tue. Respire, Layth. Doucement... Le souffle ne vient pas. Je me laisse glisser sur le sol et m'abandonne aux pourquoi...

— Layth ?

— Ce monde est... tellement effrayant.

Tomasz s'agenouille devant moi. Aussitôt, sa proximité me réconforte, bien que j'ignore pourquoi... Il tend la main, essuie mes joues, me regarde droit dans les yeux. Ses derniers sont secs et brillants, confiants, déterminés. Une flamme crépite dans ses iris bleu-vert aux taches brunâtres. Pas un soupçon de tristesse ne s'y reflète... En cette situation désespérée, tragique, chaque particule de son être rayonne d'une foi invincible, solide. Il semble indifférent au deuil. Pourquoi... ? Pourquoi n'est-il pas affligé par la perte de son amie ?

— Tout malheur connaît sa fin, annonce Tomasz.

— Que... qu'entendez-vous par-là ?

— Au moins, Chantsuko ne souffre plus. Très bientôt, plus personne ne souffrira.

Il sourit, d'un sourire sincère qui remonte ses pommettes et creuse des sillons tout autour de ses yeux.

— Ne t'inquiète pas, Layth, renchérit mon sauveur. Lorsque j'aurai rassemblé tous les morceaux de Dolguerra, j'annihilerai enfin le Mal qui gangrène l'humanité.

Que... ? Hésitation. Légère perplexité. Même si je ne comprends pas la moitié de ses dires, ces derniers m'apaisent. Étrange, non ? ... Quelque chose sonne faux... Pour la première fois, le doute s'immisce dans mon esprit concernant mon vis-à-vis... un vis-à-vis que je ne connais pas, et dont j'ignore toutes les intentions, tous les projets. Je ne sais rien des mystères qui tapissent sa vie et pourtant, jusqu'à présent, je ne me défiais pas de lui. Certes, c'était un ami de Paole... Mais il reste un étranger à mon égard. Alors pourquoi tant d'estime pour cet inconnu, bon sang ?! Je cille. J'expire. Qui es-tu vraiment... Tomasz Menynoa ?

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