8. Le refuge

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Le groupe que nous formons m'enchante par son originalité, par son caractère fortuit. On ne se connaît pas, pourtant, mu par le même mouvement, envoûtés par la même musique, nous progressons ensemble vers des destinées entrelacées. Le petit Menynoa éclate de rire à côté de moi. Son humeur est contagieuse. Devant, Paole et Jinwoo conversent, sourire aux faciès.

Le port palpite toujours avec autant d'ardeur, grouillant de vie au pied des immenses blocs de roche écarlate. Intrigants. Géants. Titanesques. Plus je les observe, plus l'envie de m'y confronter s'agite en moi... Je ne saisis pas vraiment pourquoi. L'instinct, peut-être.

— Encore un autre ! s'exclame Dojo.

Je ne peux résister, puisque j'aime jouer avec les mots. Un regard pour l'enfant et je choisis le thème. Ensuite je m'attarde, j'élis avec soin les sons qui s'accorderont. Inspire. Bloque. Relâche. Nous marchons. Les vers s'évadent de leur palais :

Ô toi, tout tasser dans ta candeur
D'heure il n'est plus aujourd'hui, petit
Tire autant de temps que ton envie
Vis tête haute, sans peur, sans leurre
Vite ! tant que ta vie a des couleurs

Le jeune Dojo me dévore de ses grandes pupilles sombres. Je devine aisément qu'il n'a pas tout saisis. Mais l'exercice semble le divertir. J'aime ce public peu averti, ignorant mais amusé d'un rien, qui ne remarque ni les erreurs, ni les paresses. C'est vrai : j'ai triché. Qui notera les fautes ? Qui même osera les chercher ? Personne.

— Encore un ! Un dernier ! s'exalte mon audience.

Cette fois, je vais faire mieux. Je dois faire mieux... Pour préserver l'égo ridicule et l'honneur rapiécée. Le thème s'impose à moi avec un naturel troublant. Respire. Invente :

Difficile d'être courageux
Je doute des ardeurs du garçon
Son élan de vivre est un faux don
Dont tous les défauts sont bienheureux
Donjon n'est rien ! deviens valeureux

Meilleur dans la technique. Un peu trop d'être, mais au moins les codes sont respectés - presque. Je souris à mon succès. Impeccable. Dojo applaudit gaiement avant de se cogner la tête contre les reins de l'artiste. Je n'avais pas remarqué que Paole s'était arrêté.

— De quelle forme poétique s'agit-il ? demande-t-il, un air détaché flottant sur sa figure androgyne.

— D'une forme de mon invention.

— Brillant ! Quelle est-elle ?

— Le refuge. Une forme fixe.

— Incroyable, monsieur Layth ! s'emporte-t-il avec ironie. J'ignorais que vous étiez doté d'imagination.

— Vous savez pourtant que je suis poète... répliqué-je sans dissimuler mon trouble.

Un sourire narquois pousse alors sur les lèvres vermeilles.

— Certes. Mais vous m'aviez caché posséder quelques talents.

Il ose. Respire. Que serait un écrivain sans un poil d'inspiration, sans une miette de fantaisie ? Les mots ne s'envolent pas. Ils s'enracinent en moi, figés. Je demeure interloqué tandis que le Menynoa me tire par un pan de cape pour m'obliger à avancer. Paole s'est déjà retourné.

— Vous fâchez pas, supplie le petit garçon dans mes pattes... Vous êtes pas fâché, hein ?

— Non.

— Alors vous pouvez en faire un autre ?

— Je...

— Faites en un autre, m'sieur Layth ! un autre ! Le dernier ! Le dernier des derniers !

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