Épilogue

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Un semaine plus tard


Ruminant les mauvaises nouvelles du monde, Bonny Red franchit la passerelle de La Brayeva Victa. Le navire mouille dans les eaux de Roqk, prêt à quitter cette bullite merdique où y a que des cailloux. Sur le pont, les marins s'occupent – exactement comme d'habitude. Ils cessent cependant de s'affairer, de cirer les planches, de transporter des caisses, de jouer aux dés ou bien – avouons-le – de boire leur rhum, pour mieux saluer leur capitaine, mieux marquer leur déférence. Bonny leur répond un opinant du chef, sans prétention, sans trop d'intérêt non plus. Elle ne s'arrête pas, poursuit sa route, tandis que les autres retournent à leurs tâches premières. Bien sûr, personne ne se vexe de cette entrée peu chaleureuse, peu gaillarde. Tous savent qu'après avoir ouï comment se porte le monde, Bonny veut toujours le brûler.

D'un pas pressé, agacé, la capitaine se dirige vers sa cabine lorsqu'Arthur vient à sa rencontre. Son second, bien que grand – il fait partie des plus grands membres de l'équipage d'ailleurs –, ne lui arrive qu'au menton. D'une main alourdie par ses anneaux en or et ses chevalières gravées, l'homme lui tend une missive cachetée. Bonny s'en saisit, sans laisser paraître sa curiosité.

— D'abord, Orheven, déclare-t-elle pour partager les catastrophes du jour. Un district complètement inondé. Les eaux ont emporté les corps de plus de soixante malheureux. Ensuite, Thaless. Défaillance des réserves d'oxygène. Sept gars en sont décédés. Et enfin, Xhiem Panhg. Un attentat rebelle dans la capitale. Des combats engagés pour renverser l'Empire. Des dizaines de milliers de morts. La guerre s'est soldée par un retrait des troupes rebelles et de leurs alliés. Tout ça en à peine une semaine... C'est chiant. Y a jamais de bonne nouvelle, mon p'tit Arthur. Jamais. Je devrais arrêter d'écouter ce que raconte les Informateurs...

Puis Bonny Red reprend son chemin vers son bureau, son fidèle maître d'équipage sur les talons.

— Quid de Paole, Capitaine ? demande justement Arthur tandis qu'ils atteignent le seuil de la cabine.

Un rire désabusé secoue Bonny alors qu'elle pousse la porte.

— Rien. Pas une mot. Je fais l'effort de patienter – j'allonge même le délai ! – et lui ne m'avertit même pas de son retard... Trois jours qu'on attend l'artiste... Je vais perdre mes nerfs si ça continue.

Une fois à l'intérieur, la capitaine s'installe derrière la table en bois sur laquelle sont étalées de nombreuses cartes. Des mondes-partiels, des royaumes, des plans de villes, mais aussi des schémas, des dessins, des atlas... Bref, du bordel. Elle s'en désintéresse pour se concentrer sur l'enveloppe qu'elle a entre les doigts. Elle l'expose à la lumière crachée par le hublot, la manipule sans grande délicatesse, analyse le sceau. Bof, elle reconnaît pas le blason ancré dans la cire. Elle pose enfin les yeux sur le maître de manœuvre. Ce dernier lui rend son regard, flegmatique et sérieux – comme toujours.

— Ferme la porte, intime Bonny. C'est quoi ça, mon p'tit Arthur ?

Elle agite le courrier comme s'il s'agissait d'un vulgaire morceau de chiffon.

— Des mercenaires spiralois veulent rejoindre Pyndare à bord de notre navire, explique l'homme tout en exécutant l'ordre de sa capitaine. Il s'agirait d'une couverture pour dissimuler leur venue sur la bullite. Leur chef m'a demandé de te transmettre ce message.

La femme s'esclaffe en se redressant sur son siège – fort confortable d'ailleurs.

— Des mercenaires ? J'irais bien les saluer de quelques impolitesses, ces malotrus. Je prends pas de toutous fauchés sur mon navire, moi. On sait même pas qui les envoie. Ils sont combien en plus ? Non, dis rien. Je m'en cogne. J'en veux pas.

— Vous devriez lire la lettre avant de prendre votre décision, Capitaine.

Ah, ah ! Arthur n'est pas son second pour du vent ! Bonny lui répond avec un clin d'œil amusé avant de tirer un ouvre lettre de l'un de ses tiroirs. Elle fait glisser la lame d'un geste fluide et déchire le papier. Alors les mots apparaissent. L'écriture est élégante mais serrée, nerveuse. La capitaine entame sa lecture. Sceptique d'abord, exaltée ensuite. Son enthousiasme atteint son paroxysme lorsqu'elle remarque, au bas de la lettre, le symbole authentique de la famille royale drymboroise. Bonny est tellement excitée qu'elle en oublie les mauvaises nouvelles du monde apprises le matin-même !

— Va me chercher ces mercenaires de Spirale, Arthur ! Qu'on leur fasse un bel accueil à ces toutous fauchés. On va les emmener discrètement sur Pyndare, comme demandé par la Grande Dame. Et ça en échange d'une magnifique récompense. On lève l'ancre ce jourd'hui, sans attendre ! Enfin... dès que nos invités auront embarqué.

Le visage toujours aussi sévère, le maître de manœuvre caresse les poils naissants qui habillent son menton. Ses bagues attirent les rayons de Qadys et font danser ses éclats.

— Est-ce si incroyable, Capitaine ?

— Oui ! Nous avons une nouvelle cliente, mon p'tit Arthur ! une cliente de grande importance qui nous paiera grassement pour le service qu'on va lui rendre !

— Qui est-ce ?

Bonny saute de son fauteuil, un grand sourire étalé sur sa face brune.

— Une femme puissante qui possède plus d'ennemis que Khométée ne compte de mondes-partiels ! Une femme crainte, une femme admirée.

Un peu de suspense... Bonny marque une pause avant d'accoucher :

— La Grande Dame de Pyndare !

— La souveraine de Drymbor, traduit Arthur avec flair.

Oui, Azoïra And'Or. Riche et haïe. Que manigances-tu cette fois, ma Grande Dame ?

Dans un coin de la pièce, sur un lourd coffre en bois, la patronne de La Brayeva Victa récupère son tricorne noir à plumes vertes. À l'aube, afin d'aller écouter l'Informateur sans attirer plus l'attention que nécessaire, elle l'avait laissé ici. Maintenant, elle s'en coiffe fièrement.

— Quid de Paole, Capitaine ?

Bonny dévisage le maître d'équipage avec raillerie.

— Tant pis pour Paole, mon p'tit Arthur ! Personne ne peut mieux nous rémunérer que la Grande Dame de toute façon ! Enfin, dommage quand même ! J'aurais bien aimé revoir Laythargie pour me foutre encore un peu de sa gueule.



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