19. Yuna

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Yu... na ? Yuna... Yuna ?

Ma tête... Bon sang, quelle douleur ! Où... où suis-je ?

— Ils vont bien s'entendre, Oshigan.

Une voix lointaine. Des ombres. Un souvenir.

Je fronce les sourcils et tente de soulever les paupières. Bon-sang... L'effort est insoutenable... J'abandonne mon dessein. Respire... Non. J'abandonne... L'obscurité me sied mieux. Tout plutôt que d'ouvrir les yeux. Tout plutôt que d'affronter la réalité. Que s'est-il passé ? L'explosion... l'affrontement des deux groupes armés... Et puis après ? Je me recroqueville un peu plus, enserrant mes genoux de toute ma force fébrile.

— Je m'appelle Yuna. Et toi ?

Yuna ? Mon corps se souvient quand mon esprit a oublié. J'ai dû l'aimer... puisque je souffre. J'ai mal à la poitrine tant mon cœur y cogne fort.

— Mon papa est un haut dignitaire de l'Empire. Et le tien ?

Dans ma tête, les voix aigues ne cessent de parler, parler, parler... Elles intensifient mon mal de crâne...

— Qu'est-ce que c'est ?

— Ça ? C'est mon recueil de poésies.

Je me balance d'avant en arrière. J'ai mal, tellement mal... Si seulement ces gosses pouvaient se taire ! Taisez-vous ! Laissez-moi tranquille ! Partez ! Et surtout, surtout : restez dans le passé !

— Tiens.

Que m'arrive-t-il, bon sang ? Tout cela n'a aucun sens... Respire, Layth. Respire ! Ma mémoire se gonfle, grossit de tous les souvenirs qu'elle a si longtemps refoulés. Les souvenirs s'échappent de leur cellule, ils s'affranchissent de leurs entraves et me bousculent... Là, ils se superposent à l'histoire que je croyais connaître. Je ne... comprends pas. Les larmes glissent sur ma peau. J'ouvre les yeux et lève la tête. Le monde est troublé de cette eau salée qui a débordé de mes paupières.

— Oh ! C'est vraiment pour moi ?

— Oui. Tu peux le prendre.

— Merci, Lem. Merci beaucoup.

Des lèvres contre ma joue... L'amitié né d'un innocent baisé. Il y a des années... Combien d'années ? Dix ? Non, onze. Peut-être bien treize... Des années d'oubli minutieux, de mémoire altérée, de passé enterré... Bon sang... Comment est-ce possible ? Comment ai-je pu réprimer un tel néant, un tel vide ? Le vide d'une enfance humiliée, effacée, annihilée... Qui suis-je ? Une main caresse ma joue et y essuie les larmes.

— Tu te souviens maintenant ?

— Je...

m'étrangle dans un sanglot. Elle est là, plantée dans le présent. Ses yeux noirs brillent comme de splendides bijoux et me dévisage avec inquiétude. Yuna, accroupit devant moi, me tend une flasque et m'effleure la joue de ses doigts de femme. Incroyable. Elle est adulte désormais... Oui, il y a longtemps que l'enfance s'est terminée.

— Encore une gorgée, Lem. Et tu te souviendras.

Je l'ai suivi. Je lui ai pris la main et je l'ai suivi à l'extérieur du hall, en dehors du chaos. Je l'ai suivi dans les profondeurs du palais, abandonnant Paole et les autres... Paole...

— Bois.

— Qu'est-ce... ?

— Du baljjan. À faible dose, il ravive la mémoire refoulée.

— Je...

— Tais-toi, Lem. Et bois.

J'obéis. Toute pensée m'a déserté ; ne demeure que les yeux brillants, les iris onyx qui me transpercent et ravivent un passé estompé, enfoui, inhumé depuis les Temps Oubliés. Goutte à goutte, les fragments de ma vie d'antan commencent à s'extirper des ombres. Yuna est là. Je m'enivre et je respire.

Le SensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant