25. La Voix (1/2)

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⚠️ violences, sang, morts

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Avec quelques difficultés, Chantsuko retire son poignard de la poitrine du rebelle. Puis, enjambant le corps dont elle a pris la vie, elle souligne l'iniquité des membres du camp adverse. Quand certains insurgés sont parés d'armures d'acier et de casques, d'autres portent à peine un plastron de cuir pour préserver leur thorax. De même pour les armes, note-t-elle en se plaquant contre un mur. Quand la moitié des lames ennemies sont agiles et tranchantes, l'autre partie de l'acier est tout émoussée. Chantsuko secoue la tête pour chasser ces fioritures de son esprit fatigué. Elle doit se concentrer sur l'instant présent.

La nuit s'est emparée du palais, permettant à la petite femme de se glisser dans les ombres et d'éviter les affrontements autant que possible. Mais la nuit étant là, Chantsuko doit désormais rejoindre Tomasz. Un frisson parcourt son échine, l'heure s'est écoulée sans que la Xhiemen n'ait trouvé Paole, détenteur du précieux livre de portraits... Elle descend quelques marches puis, arrivée au bas de l'escalier, elle s'aplatit contre le mur. Elle attend. Étrange. Il n'y a pas de bruit... Alors Chantsuko élance son cou, seulement son cou, de sorte qu'elle ne puisse être aperçue, et plisse les yeux afin de détailler son nouvel environnement. La puanteur de ce dernier, répugne la petite femme. Elle fronce le nez pour chasser l'odeur prégnante du sang... En vain.

À quelques pas du mur derrière lequel Chantsuko se cache, un amas de cadavres croupit. Et au milieu de l'immonde carnage qu'éclairent les astres, une soldate soupire. Entre ses mains pâles, celle-ci serre un grand coquillage doré. La Voix. À n'en point douter, il s'agit bien de l'Obkryc de la Voix. Un artefact redoutable... L'arme qui a permis à la combattante d'assassiner ces quelques quarante âmes. La stratégie du prince Aroon est donc bien effective. Les armées Cixiu-Wa utilisent les obkrycs pour exterminer massivement les gêneurs du Clan Zu'Hang.

Le cœur au bord de l'implosion, Chantsuko s'apprête à rebrousser chemin lorsque le boucan d'une course parvient à ses oreilles. Elle s'adosse aussitôt au mur protecteur, mais tord ses cervicales pour observer la scène. Une dizaine d'ombres métalliques a envahi les lieux. Des Zu'Hang et leurs alliés, venus venger les leurs. Torches en main, ils écrasent les défunts pour tenter d'atteindre leur ennemie. Cette dernière, à peine décontenancée par l'attaque, porte tranquillement le coquillage à ses lèvres. Les lames s'élèvent pour l'embrocher. Elle ne sourcille pas et... Instinctivement, Chantsuko se bouche les oreilles. La soldate souffle dans l'obkryc. Fracas de métal. La douleur est immédiate. Chantsuko tombe à genoux sous la violence de l'onde qui percute ses tympans. Saleté ! Les mains collées à son visage, elle essaye de se relever. Impossible. Elle ne peut que se recroqueviller dans un espoir naïf de se protéger. Elle n'a aucune défense, aucun bouclier. L'onde de la Voix brutalise sa chair et ses organes. Chantsuko hurle. Elle s'époumonne et se contorsionne de douleur... lorsqu'elle elle se sent brusquement tirée en arrière. On la redresse, mais elle trébuche et tombe contre le torse de l'inconnu. Le souffle coupé, Chantsuko n'ose pas respirer. Figée, les membres moites, la peur au cœur, elle succombe à la panique. Un morceau d'acier froid s'est glissé sous sa gorge tandis que le son mortel de l'obkryc continue de lui broyer le cerveau.

— Tomasz ? espère-t-elle malgré tout.

Pas de réponse. Je vais mourir, putain... Chantsuko tremble. Son mal de crâne augmente terriblement. Des gouttes chaudes chatouillent ses joues. Un liquide suinte de ses oreilles. Du sang... Elle presse les paupières et s'autorise une expiration. Qu'elle meure le cou ouvert ou les tympans éclatés, qu'importe... Elle mourra dans la souffrance de toute façon. Rien à faire. La petite femme n'a pas la force d'essayer... La Voix l'a vidé. Elle ne se débat pas, ne cherche pas à se dégager de l'emprise de l'étranger. Elle s'abandonne alors que le fluide poisseux descend dans son cou. Elle crie, elle pleure... Mais, à travers le filtre de sa douleur, elle parvient malgré tout à percevoir le retrait du couteau, puis le raffermissement de la poigne sur son bras. L'inconnu tourne sa victime vers lui. Chantsuko n'a pas le temps de voir son visage que l'homme la soulève pour la placer sur son épaule. Je... Au... secours... Le son poursuit sa propagation et tyrannise les organes de la martyre, des organes prêts à imploser. Je... Chantsuko s'acharne à rester éveiller, elle s'efforce de vivre, tandis que l'homme l'emmène, enfilant deux à deux les marches de l'escalier.

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