17. La guerre (2/2)

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Le sifflement se tait ; les cloches se calment. Puis des pas précipités conquièrent l'accalmie. Bon sang... Des silhouettes se détachent dans le brouillard alors que ce dernier tend enfin à se dissiper. Leurs épées ensanglantées miroitent la lumière qui irradie à l'extérieur. Les assaillants sont nombreux. Beaucoup trop nombreux. Ils passent le seuil par vagues de vingt et traversent les ruines, enjambent les corps des statues brisées. Je ne peux plus bouger. La peur me plaque contre le sol, empêchant résolument chaque muscle de se contracter. Mon pouls s'accélère, exalté, caracole comme un dément... La sueur me tombe dans les yeux, se confond aux larmes, se mêle à l'angoisse... Respire, Layth. Reste et prie...

— Vous n'irez pas plus loin.

C'est la voix de Tomasz. Je me redresse sur un coude et tend le cou dans la direction de son timbre doux, rassurant. Je l'aperçois. Il se tient droit à quelques pas de moi, la figure maculée de poussière. Pourtant dépourvu d'armure, il rayonne d'une confiance absurde, bombant le torse avec insolence. Derrière lui, les gardes en tunique beige et plastron bleu se sont rassemblés. Ils sont autant que les envahisseurs. Non... Plus nombreux ? Ils continuent de déferler et débordent, cascade d'hommes et de femmes qui se déversent dans le hall en ruine. Un élan d'espoir me creuse le ventre et ma paralysie se dilate pour me permettre de fuir, de rejoindre mes alliés. Je me redresse sec, trébuche, puis claudique de mon mieux jusqu'à eux. De nouveau, Tomasz dégaine le fer.

Le temps semble se tarir, s'assécher comme une flaque d'eau, lentement, seconde à seconde jusqu'à disparaître complètement. Production de l'âme, invention de l'esprit, le temps se fige soudain entre les pans d'infini de l'espace qui m'échappe. Depuis une minute peut-être, les ennemis se font face dans la quiétude totale qui précède la tempête. Cette dernière sera bientôt là, à gronder au-dessus de nos têtes.

Une longue silhouette se détache de la masse des envahisseurs. Ses cheveux collés de sang voilent une partie de son visage. Elle a retiré son casque et s'essuie le front. À quelques pas de nous, elle s'arrête. Puis, appuyée sur une lance dérobée au cadavre d'un garde xhiemen, elle rugit en langue commune :

— Où se cachent les Cixiu-Wa ?

Ses yeux noirs d'orages sont arrimés à ceux de Tomasz.

— Ils ne se cachent pas, répond celui-ci.

— Qu'ils se montrent...

À sa réplique, les soldats entassés derrière Tomasz s'agitent tandis que l'un d'eux, impavide, se découvre le crâne d'un geste maîtrisé. Dans un murmure de métal, il se révèle à ses ennemis. Fier. Téméraire. La noblesse de son rang est inscrite sur son front pâle. Les autres guerriers, réunis derrière Tomasz, s'inclinent. Je les imite. Bien sûr, je ne reconnais – ni ne connais – ce jeune homme aux épaules larges, au dos droit, à la posture princière... seulement je comprends. Les faciès sidérés qu'affichent les envahisseurs sont autant de fenêtres diaphanes sur un monde empreint de lumière.

Le Cixiu-Wa qui a retiré sa protection dépasse Tomasz, s'approchant sans crainte de la troupe qui nous fait face.

— Il est encore temps d'arrêter ce conflit.

— Ce n'est pas un conflit, hurle le Zu'Hang entre ses crocs serrés de rage. C'est une guerre. Nous allons reprendre notre Empire ! Le poste-frontière est désormais un cimetière. Il en sera bientôt de même pour cet endroit.

Les deux hommes se toisent encore quelques secondes, séparés l'un de l'autre d'à peine quatre pas, et chacun menaçant la vie de son adversaire. Ils sont prêts à s'affronter, prêts à déclencher le chaos sanglant qui couve entre les murs tâchés du palais blessé. Frisson. Les statues de marbre décapitées observent la scène avec une dérangeante sérénité...

Lorsque le Cixiu-Wa se recule enfin, réinstaurant une distance convenable entre les deux groupes armés, il clame :

— L'Empire est nôtre. Il l'a toujours été.

— Calomnie.

— Vous auriez dû rester terrés. Aucun membre de votre Clan ne survivra cette fois-ci...

Le silence qui s'ensuit s'appesantit de haine. J'étouffe un nouveau tremblement et me cache davantage derrière Tomasz. Dans ma poitrine, le cœur bat les secondes, puis l'espace-temps entre chaque seconde. La sueur dégouline sur mes tempes, mouille mon dos, trempe mes mains... Je crois que je vais mourir de peur avant d'être tué. Les Cixiu-Wa et les Zu'Hang préparent leurs armes, se mettent en gardent, puis :

— Pour l'Empire !

— Pour les nôtres !

Les vagues guerrières s'élancent l'une vers l'autre...


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