Pas une lueur n'ose lutter contre l'opacité totale qui envahit le tunnel. L'obscurité englobe chacun d'entre nous. Je ne vois rien. Rien. J'avance, aveugle, à l'instinct dans cet environnement éteint... Je ne peux que sentir, sentir la terre et les cailloux griffer les paumes de mes mains, éprouver le frottement de mes genoux contre la roche. Respire... Le monde est sombre, je ne peux qu'entendre les cris du vent qui traverse le conduit et s'introduit dans mes habits, percevoir la rudesse des parois contre mes épaules, et effleurer le plafond de mon dos arrondi par le boyau... Respire. L'odeur de la transpiration se mêle à celle de la poussière minérale. Il fait chaud ; il fait froid. Personne ne se plaint à haute voix. Chacun avale sa douleur, ses angoisses, tandis que le groupe progresse dans un silence ponctué du souffle de nos respirations fatiguées. Mon cœur s'emballe. Il galope, court vite. Trop vite. Respire. Ma peau moite est de plus en plus inconfortable, les murs de roches de plus en plus oppressants... Respire, Layth... Respire, res-pire, reste pire, il y a pire, bien pire...
Après une éternité passée à ramper, l'espace autour de nous devient à nouveau décent. Pas à pas, nous nous relevons, jusqu'à nous tenir pliés, jambes arquées et dos voûté. Seul le petit Dojo peut se redresser tout entier... Dix minutes s'écroulent, alors se remplir d'air devient un peu plus aisé.
— Attention, me parvient soudain l'écho de notre guide. Avancez doucement ; prenez votre temps... Évitez de chuter et de vous ouvrir le crâne sur un rocher. Ce serait dommage de mourir si près du but...
Un je-ne-sais-quoi dans ses paroles me pousse à redoubler de vigilance. Dans le noir, mes mains glissent sur les surfaces environnantes, sur le sol, sur les parois, pour aider mon imagination à dessiner le décor. J'évite ainsi de trébucher, de me cogner ou de heurter mes camarades d'aventure. Yokemi poursuit ses mises en garde alors que les murs de pierre semblent s'écarter, s'éloigner de mon corps, de mes membres épuisés, de mes épaules abîmés. Autour de moi, je sens l'espace se déformer. Ces lieux d'obscurité se transforment et la lumière parvient finalement à se frayer un chemin dans les ténèbres du souterrain.
— Nous sommes arrivés... affirme Paole pour lui-même.
— Nous sommes enfin arrivés, m'entends-je renchérir.
Puant, suant, poussiéreux, je suis le dernier à m'extirper de l'intestin rocailleux. La lumière me frappe aussitôt en pleine face, m'éblouit... Je bats des paupières, place une main en visière pour me protéger des rayons de Qadys et, avide de respirer, m'empresse de gonfler mes poumons, de lamper l'air avec âpreté comme s'il pouvait s'évaporer à tout instant. Puis je déplie ma colonne vertébrale, balaie l'écume qui souille mon front et écarte les bras pour accueillir la liberté !
— L'épreuve fut-elle si rude, monsieur Layth ?
— Je n'avais jamais rien connu de tel...
— Ni moi, lâche Jinwoo.
— Attendez donc de franchir la faille, messieurs ! sourit l'artiste.
— La PIS est là, indique la Menynoa.
Aussitôt, toutes les attentions convergent vers la Porte Intrasystème. À quelques pas de nous, sous une immense arche de roche rouge, un tourbillon de poussière ouvre la voie vers un autre monde – vers Xhiem Panhg.
— Une fois dans la faille, reprends Yokemi, avancez sans vous arrêter. Ne vous arrêtez pas. Jamais. Marchez tout droit, faites bloc avec votre volonté, avec toutes vos forces et contrez les courants. Si pas de question, je vais vous réclamez le reste de mon dû et vous laisser...
Se disant, elle se plante devant moi avant de me présenter sa paume. Je saisis l'objet de sa requête sans délai et me déleste d'une pièce d'argent. La petite me remercie en dissimulant le lunion dans ses habits. Du coin de l'œil, je perçois le mouvement de Paole en direction de la Porte... Mais ce n'est pas suffisant pour me distraire de Yokemi. Cette dernière s'approche de Dojo, puis s'accroupit. Paumes sur les frêles épaules du garçon, elle dit :
— C'est ici qu'on se sépare, tu sais...
— Je... C'est sûr que... je peux pas rester avec toi, cette fois-ci ?
Les deux enfants lancent un bref regard vers Jinwoo.
— Tu sais bien que non, répond la fille.
Le petit se laisse tomber dans les bras de sa sœur, étranglé de sanglots. Pourquoi ne partent-ils pas ensemble ? Pourquoi doivent-ils se quitter ? Quel rapport avec l'homme chargé de veiller sur le cadet ? Alors que je tente de comprendre, l'artiste revient vers moi.
— Allons-y.
Je ne l'écoute pas. L'empathie et la curiosité forment un étrange mélange dans ma poitrine...
— Sois sage, Dojo. Et on se reverra très vite.
Le Menynoa renifle plusieurs fois. Il défait l'étreinte, essuie son visage bouffi et rejoint son escorte. Agrippant la main de Jinwoo, il l'entraîne vers la Porte Intrasystème sans nul autre regard pour sa sœur. Puis il pivote vers moi et agite sa petite main en souriant. Adieu.
— Bon courage, m'sieur le poète ! s'écrie-t-il.
— Au revoir, Dojo !
Puis il se détourne et hoche la tête vers son accompagnateur. Un battement de cœur, et les deux silhouettes sont avalées par l'arche de pierre.
Yokemi se redresse en essuyant une goutte d'eau au coin de sa paupière.
— Et vous ? Vous partez pas ? lâche-t-elle sans dissimuler son irritation.
— Allons-y, monsieur Layth, rétorque Paole en se dirigeant vers la PIS.
Pour ma part, je suis incapable de bouger. Je dois d'abord lui dire ce que j'ai vu...
— Ton frère...
— Oui ?
— Il a mis quelque chose dans ton capuchon.
— Quoi ?!
Elle retire immédiatement sa cape avant d'ôter une poche en toile de la capuche. Ses yeux noirs écarquillés, Yokemi découvre ce que son petit frère lui a légué... Un morceau d'étoffe doré. Son expression change aussitôt. Les joues creusées se teintent de rouge et un sourire fugace fait rayonner le visage endurci. Je ne peux détacher mon regard de la silhouette gracile qui s'est mise à trembler d'une excitation mal contenue. Quelque chose d'important est en train de se jouer là, juste devant moi. Je le sens. Je veux en être témoin à défaut d'en faire partie...
— Monsieur Layth ? Ne venez-vous donc pas avec moi ?
— Taisez-vous, Paole. Regardez.
Alors comme si elle avait attendu mon signal, la fille attache le foulard autour de son cou. Curieusement, ma vue se brouille au même instant et, lorsque l'étrange brouillard se dissipe, je manque m'étouffer de surprise. Inspire... Je bats des paupières, abasourdi par l'absurdité de l'image que je perçois. Là où se tenait la silhouette sèche de Yokemi se trouve désormais le corps pansu d'un vieil homme borgne.

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Le Sens
FantasíaÉtouffé par l'ennui, Layth, jeune poète, veut changer la trame de sa vie. Lorsqu'il rencontre Paole, dessinateur talentueux et mystérieux voyageur, il saisit l'opportunité qui se présente à lui ! Tous deux embarquent pour un périple khométéen, trave...