21. Les Zu'Hang

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J'ai dû mal à me concentrer... les idées se fracassent contre mon crâne, le percutent d'une violence qui m'étourdit. De l'ordre... Respire. Il faut un peu d'ordre dans ce chaos... d'abord, s'échapper de l'étau que la guerre resserre au gré des secondes qui s'écoulent... Oui. Mais comment ? Si quelqu'un à une idée, je vous prie de la partager... Puis je dois protéger l'héritage de Paole et le comprendre, le rendre et – surtout – l'oublier... Aussi, il me faut me débarrasser du poids du défunt, alléger cœur et conscience, me délester de cette aventure gâchée, de ces lambeaux souillés. Oui, il le faut. Oui et oui. Oui, cent fois. Je veux retourner au calme plat d'une existence vaine mais sûre. Et le sens ? Et le but de ma vie ? Abandonnés. Pour aller où ? Pour en faire quoi ? À quoi cela sert-il de... ? Pourquoi chercher l'utilité d'un grain de poussière dans un univers rempli d'étoiles ? Je rate une marche et m'écrase contre la pierre froide. Mes mains moites ont mal amorti ma chute.

Yuna ne se retourne pas. Elle garde son rythme, sa roideur froide et déterminée, tandis que je masse mes poignets. Je me redresse, larmes aux yeux, honte à l'âme... L'effort est difficile à maintenir, à fournir. Je veux arrêter, m'arrêter, quitter cette bullite, m'exiler, fuir tous les mondes... fuir Khométée... Les pas de la combattante distancent les miens... J'entends leur musique qui s'éloigne dans l'escalier, qui s'étouffe. Attends, Yuna... Attends-moi ! Mon pouls s'enivre de vitesse et réveille les membres de mon corps paresseux. J'accélère pour rattraper mon amie d'enfance, enfile les marches deux à deux, m'efforçant soudain de calquer son tempo pour rejoindre la surface et sa tragique réalité.


Au bout de la rampe, Yuna s'agite. Elle tape nerveusement du pied, une main tremblante sur la garde de son épée. Toute sérénité s'est dissipée. Sourcils froncés, la guerrière semble en proie à d'intenses réflexions – peut-être d'ordre stratégique. Son émoi renforce le mien, le décuple... Mon cœur refuse de s'apaiser et brutalise ma poitrine... Respire... Au loin, à quelques couloirs de là, la guerre hurle dans mes oreilles : fer, cris, fer, peur... et la mort... Je me laisse glisser sur le sol avant de me recroqueviller, d'enlacer mes genoux de toutes mes forces et de rentrer ma tête dans mes épaules pour disparaître de cet univers... Oui, je plie. Oui, je tremble. Je me replie. C'est facile de plier. En avant... respire. En arrière, en avant, en arrière... respire, respire... fer, cris, fer, pleurs...

— Lem ! Qu'est-ce que... ?! Tu voulais quitter l'Empire ! Relève-toi !

Secousses.

Où s'est terré mon élan de témérité ?

Je crois qu'on me bouscule...

Yuna ?

— Tu as changé d'avis, Lem ? Tu veux mourir ici ? Très bien. Mais je ne peux t'accompagner sur ce chemin, car mon Clan a besoin de moi.

J'attrape son mollet avant qu'elle ne me délaisse, puis je redresse le cou et plante mes yeux mouillés dans ses pupilles.

— Yuna ?

Sa carrure de soldat pivote vers moi. Elle attend.

Elle n'attendra pas éternellement...

Trouve quelque chose, Layth...

— Que...

Dis quelque chose, Layth, n'importe quoi ! pourvu qu'elle ne t'abandonne pas.

— Qu'est-ce... qu'un Clan ?

— Vraiment ? sourcille-t-elle.

— Vraiment.

Bouche bée, elle me dévisage comme si je fusionnais avec un obkryc... Puis son air impavide reprend place sur son faciès ; Yuna s'arrache à mon emprise et m'oblige à me relever. Elle est aussi grande que moi. Mais elle est plus robuste, plus vaillante. Elle cultive les forces que je n'ai pas le courage de faire germer.

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