L'aube paraît à peine que nous reprenons notre chemin vers Xhiem Panhg. Yokemi mène le groupe, confiante et professionnelle dans le ton qu'elle emploie. Avec aplomb, elle nous prie de nous écarter du vide et de surveiller nos pas. Elle raconte sans détail comment certains voyageurs ont parfois trébuché pour s'exploser le crâne tout en bas, dans le néant poussiéreux du précipice. Ce dernier, entouré des immenses parois rocheuses du canyon, se déploie prétentieusement à notre gauche. Vaste. Si vaste... Un frisson caresse mon dos et je détourne les yeux. Regarder devant soi. Toujours. Il faut réprimer toute dissipation et se concentrer entièrement sur l'étroit sentier qui descend en pente raide vers notre destination.
— Parvenez-vous à suivre, monsieur Layth ?
Dernier louveteau de la meute, je ferme la marche. Les séquelles d'une nuit terrible – passée notamment à me rouler dans les cailloux – se manifestent de manière physique. Dos voûté, douloureux, visage trempé de sueur, creusé de fatigue, et articulations à l'agonie, je me traîne sur le chemin sinueux.
— Je fais... de mon mieux...
Paole progresse devant moi, à quelques pas de Jinwoo en amont devant lui. Juste derrière notre guide, Dojo se débrouille bien mieux que moi. D'ailleurs, les enfants ne blâment ni la chaleur suffocante de Qadys au-dessus de nous, ni leurs membres éprouvés par le voyage, ni même cette horrible nuit que chacun a traversée. Les Menynoa ne se plaignent pas. Jamais. Ils échangent des anecdotes du passé et du futur, causent du temps, des paysages, de la nature, rient, se retrouvent, comme s'ils ne s'étaient pas rencontrés depuis les Temps Oubliés. Jinwoo les talonne, un tympan à l'affût de leur discussion.
Parfois, l'artiste m'attends. Je le rejoins, mouillé et boitant, les membres tremblants sous l'effort. Je bois. Respire. Ma vue se clarifie, mais mon mal de tête ne s'estompe pas. Une kyrielle de minutes s'écoulent. La distance entre Paole et moi a déjà quadruplé. Parfois, le groupe m'attend. Je les rejoins, dégoûté de ma faiblesse et rongé de culpabilité.
La mince route rougeâtre, encastré dans le flan de la paroi, cesse enfin de descendre à pic. La pente s'adoucit progressivement pour devenir un passage plat, sécurisé, une terre sûre et convenable. À notre gauche, le puits de néant n'existe plus. Nous y sommes. Nous avons quitté les sommets pour le cœur de la gorge. Nous errons, en tas de poussières, entre les reliefs gigantesques qui nous assiègent.
— Dernière étape, indique Yokemi alors que nous nous rassemblons autour d'elle.
Puis elle enjambe le filet d'eau qui suinte entre les deux murailles naturelles de la gorge. Son cadet se hâte à sa suite. Une fois réunis à nouveau, elle nous demande de reculer. Avec l'œil expert de celle qui agit par habitude, elle analyse la paroi. Rapidement, elle repère un rocher différent de ses voisins en ce qu'il comporte un symbole – une simple croix gravée dans sa chair minérale.
— Celui-ci, désigne la jeune guide en se tournant vers Jinwoo.
— Je... Ce n'est pas moi qui ai accompagné Dojo à l'aller. Reim me l'a confié au port, alors...
— Je vois, coupe-t-elle avec flegme. C'est pas grave... Approche et aide-moi à dégager le passage.
L'homme s'exécute et, combinant leurs forces, Jinwoo et Yokemi parviennent à déplacer le rocher. Un boyau bas, étriqué et sombre est aussitôt révélé.
— La PIS est de l'autre côté, informe la fille avant qu'on ait eu le temps de l'interroger.
— Brillant. Êtes-vous prêt, monsieur Layth ?
— Prêt. Et vous, Paole ?
Le susnommé incline le menton, son sourire ironique au bord des lèvres.
— Bien, allons-y, invite la Menynoa.
Mais alors qu'elle va entrer dans le tunnel, son frère la retient par un pan de sa tunique brune. Elle proteste à peine, qui l'enserre de ses petits bras...
— Tu vas me manquer, sanglote-t-il.
Elle lui essuie les joues, le visage hermétique à toute émotion. Je ne saisis pas. Pourquoi ne peuvent-ils pas rester ensemble ? Une gêne étrange s'insinue en moi tandis que les Menynoa se séparent.
— Tu vas me manquer aussi.
Ensuite, elle lui prend la main et, sans lui laisser quelques minutes pour sécher ses larmes, elle l'entraîne dans le boyau. Jinwoo s'empresse de les rejoindre. Paole me sourit puis, plié en deux, les épaules rentrés, il s'engouffre à son tour dans le petit conduit de pierre. Le ciel est bleu, complètement bleu. Qadys, au zénith, inonde de lumière les immenses murs de roche orange écarlate. Respire. Ces lieux me provoquent une émotion que je ne peux contenir...
Qu'explosent tes couleurs dans mon cœur qui t'attend
S'enracine ta joie, ce bonheur en pelote
Ton souvenir aussi, qu'il perdure, qu'il flotte
Pendant que je t'espère en écoutant le ventCes vers ne sont pas les miens. Pourtant aujourd'hui, je sens qu'ils peuvent m'appartenir. Oui, aujourd'hui je les possède, puisqu'ils résonnent si bien dans mon âme.
— Ne venez-vous pas, monsieur Layth ? me parvient l'écho lointain d'un timbre familier.
À regret, je me détourne du paysage bouleversant, me rapetisse autant que possible, contracte mes membres pour les diminuer et pénètre à tâtons dans la galerie enténébrée.
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Le Sens
ФэнтезиÉtouffé par l'ennui, Layth, jeune poète, veut changer la trame de sa vie. Lorsqu'il rencontre Paole, dessinateur talentueux et mystérieux voyageur, il saisit l'opportunité qui se présente à lui ! Tous deux embarquent pour un périple khométéen, trave...