14. Le regret

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⚠️ sang, mort

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Le cœur comprimé, je réalise mal qu'on ait pu abandonner une enfant. Est-ce normal de n'avoir rien tenté pour la protéger ? d'avoir accepté la situation si aisément, sans ressentir un soupçon de compassion ? Est-ce normal de l'avoir laissé aux mains de son destin, seule, orpheline ? Nous avons baissé les bras avant même de chercher une solution, un moyen de l'emmener avec nous... Nous n'avons rien tenté. Nous n'avons même pas eu l'audace d'essayer... Peut-être aurions-nous dû lutter pour elle ? Je revois en réminiscence son corps chétif, transformé, erré dans la cellule... Peut-être que nous aurions dû nous battre pour sauver Yokemi de ce futur incertain.

— C'était son choix, dit Paole en lisant l'angoisse sur mon visage.

— Et alors ? répliqué-je. Ce n'est qu'une en...

— Vieille personne dont nous ignorons tout ! m'interrompt sèchement l'artiste. De plus, souvenez-vous monsieur Layth que, si cette personne s'avère dérangée par sa nouvelle condition, elle n'en reste pas moins libre. Si elle le désire, elle peut toujours rebrousser chemin et retourner d'où elle provient.

— La Porte qui mène à Roqk, certes. Mais je...

— Oubliez-la, me coupe-t-il une nouvelle fois. Omettez avoir croisé sa route. Votre conscience s'en portera mieux ainsi.

En langue commune, l'un des gardes nous intime de nous taire. Je n'écoute pas. Les paroles de Paole me sont restées en travers du cœur.

— Pensez-vous vraiment ce que vous dites ?

Je sens la corde se resserrer autour de mes poignets. Un ordre muet. Le geôlier semble tirer pour me pousser au silence. Qu'importe... Je ne crains pas les étaux. Toute ma vie, mon âme et mon esprit ont pourri en cage.

— Comment pouvez-vous seulement... ?

— Vous ne la connaissez pas, Layth ! Il y a vingt-quatre heures, vous ignoriez jusqu'à son existence.

La brûlure des entraves agresse ma peau. Je résiste pour livrer ma pensée. La bile a envahi mon palais...

— Vous me répugnez, Paole.

Soudain je bascule en avant et tombe sur les genoux, soufflé. Respire. Le lancier qui a causé ma chute revient sur ses pas et me relève d'une poigne rude. Puis il se tourne vers son camarade pour parler xhiemen. Leur échange terminé, le gardien m'oblige de nouveau à avancer dans le corridor enténébré qui mène vers l'inconnu.

Après les escaliers et le couloir, nous voici introduits dans une étrange pièce tapissée d'images. Sur chaque pan de mur, sur chaque plaque de bois, est exposée une figure. La salle est peuplée de portraits dessinés finement à l'encre noire. Les parchemins, impressionnants de détails, accaparent toute mon attention. Je les survole, parcours la pièce du regard et analyse les êtres de papiers cloutés aux murs. Les visages se ressemblent... sans être semblables. Les hommes, les femmes, les enfants... Ils arborent tous des traits à la fois très similaires et parfaitement différents... Des yeux félins et perçants, de longs cheveux noirs et lisses, coiffés à l'aide de fil ou de bandeaux... Les plis de leurs faciès pâles sont fatigués par une histoire qui n'appartient qu'à eux. Je ne reconnais personne, ou presque... Je m'approche prudemment d'un portrait et la reconnaît... Là, accrochée comme les autres entre deux étrangers, exposée comme une criminelle, Yokemi me fixe de ses yeux sévères... Qu'est-ce que... ?

— Sacs !

Le cri du lancier xhiemen me sort de mes observations. D'ailleurs, ce n'est que lorsque son camarade revient avec nos affaires que je remarque son absence passée... Le gardien à la barbichette pointue défait nos liens tandis que l'autre rassemble nos bagages sur l'unique pupitre de la pièce.

Le SensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant