Chapitre 12- Joshua.

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Jeudi 15 Août 2024.

Sam est probablement atteint d'une malédiction. Cette malédiction fait qu'à chaque fois qu'il monte dans un train, il y a un bébé qui pleure dans son wagon. La joue posée contre mon épaule, un écouteur dans l'oreille, mon copain soupire discrètement.

L'autre écouteur, c'est moi qui l'ai. De ma main libre, celle qui n'est pas passée autour de la taille de Sam, je prends son téléphone posé sur la petite table devant notre banquette et je tape son code rapidement. C'est facile, son code est la date de mon anniversaire. Je fais défiler ses différentes listes de lecture, à la recherche d'une musique particulière qui devrait lui faire oublier un peu ce bébé, une musique que j'apprécie énormément.

Je trouve enfin cette musique et je clique dessus. Dès les premières secondes, Sam se redresse et tourne la tête vers moi pour déposer un baiser sur ma joue, et quand il recule, je le vois articuler silencieusement les paroles de Dernière danse. Il se réinstalle ensuite contre mon épaule, visiblement un peu moins préoccupé par le bébé qui pleure.

Au moins, contrairement au jour où il est venu chez ma sœur en train, les parents s'occupent du bébé cette fois. Petit à petit, les cris se calment grâce au papa qui murmure une berceuse à l'enfant, ce dernier finit même par s'endormir. Je ressens un violent pincement au cœur devant ce spectacle, ne pouvant pas retenir une légère jalousie.

Je n'ai aucun souvenir de quand mon propre père était un père pour moi. Tous les bons souvenirs ont été effacés, gommés, cachés par les mauvais. Comme s'ils n'avaient jamais existé.

Pense pas à ça, tu te fais du mal...devine Sam dans un chuchotement.

Et il passe ses deux bras autour de ma taille pour se coller un peu plus à moi. J'accueille son étreinte avec une joie teintée d'amertume. Heureusement que Sam est là. Heureusement qu'il est là tout le temps et qu'il supporte tout ce qui ne va pas chez moi.

Tu veux sortir un peu du wagon ? demande-t-il ensuite, soucieux.

Ça ira, ne t'en fais pas. Merci d'être là.

Je me force à tourner la tête vers la vitre pour regarder le paysage défiler. Sam a raison, je ne dois pas penser à ça. Même si une partie de ma vie a été une totale catastrophe, je trouve que je m'en sors plutôt pas mal. J'ai un copain formidable, sa famille m'apprécie et me traite comme si j'en faisais partie, ma sœur va beaucoup mieux et est heureuse, ma grand-mère peut enfin profiter de sa retraite comme il se doit...

Je veux que tu les voies. Mes cicatrices, lâché-je brusquement.

Sam relève la tête, surpris, et ne dit rien. Son regard plongé dans le mien, il attend visiblement que je dise autre chose.

Je bloque sur ça depuis longtemps...Je me dis qu'il faut peut-être que j'arrive enfin à te les montrer pour mieux les accepter.

Sam a déjà vu les plus petites sur mes bras, provoquées par des brûlures de cigarette et une grosse sur le ventre, celle qui date de ma peau transpercée par ma propre côte. Mais il y en a d'autres, un grand nombre d'autres cicatrices qui me dégoûtent fortement. Et il y en a partout, en tout cas sur le haut de mon corps : sur mon ventre, mes côtes, mes épaules, mes bras, mon dos...Sur le bas de mon corps, il n'y avait guère plus que des hématomes qui ont guéri avec le temps.

Je sais que Sam ne me jugera jamais. Il serait incapable de faire une telle chose, alors je ne sais pas pourquoi cela m'inquiète autant. Cependant, aujourd'hui, j'ai la certitude qu'il faut que je lui montre mes cicatrices pour évoluer un peu plus et me sentir encore mieux.

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