Angie
Mon regard jongle entre l'écran de mon téléphone et le visage de celui qui me fait face. Ça ne dure que quelques secondes, tout au plus, mais ça suffit pourtant à l'alerter sur ce que j'ai l'intention de faire. Tandis que je prends ma décision et que je me jette vers la porte, le tout après seulement une demi-seconde d'hésitation, il me rattrape et plaque mon dos sur celle-ci. Je relève ma tête qui vient de cogner le bois vers Duncan, qui soudain me dévisage, bouche ouverte.
— Pardon, je...
Tout dans son regard m'indique qu'il l'est vraiment. Mais après tout, comment s'y fier, désormais ? La sincérité qui file sur les traits de son visage et la peur que je découvre dans les yeux de Carolyn, toujours dans la même position, me pousseraient presque à remettre mon jugement en question. Mon cerveau et mon cœur sont en totale contradiction. Je ne sais plus que croire, comment réfléchir, que ressentir. Le timbre de Syke me rappelle sans cesse à l'ordre, dans les tréfonds de mon imagination, quand les battements de mon organe vital, qui se calment peu à peu, me donnent l'impression illogique de me mentir à moi-même.
J'ai peur.
Mais je pense que je ne suis tout simplement pas effrayée pour les bonnes raisons.
— Écoute, Angie...
— Je voudrais m'en aller, maintenant.
Ma voix est paisible, en dépit des deux paumes qui viennent de s'aplatir de chaque côté de ma tête. Je suis prise au piège, dans ma propre chambre, face à deux inconnus dont j'ignore en fait absolument tout.
— Tu le feras, assure Duncan. Mais pas avant d'avoir entendu toute l'histoire.
Il y a un monde, qui s'est écoulé, entre son pardon et cette phrase, qu'il abat sur moi. Son ton n'a plus rien de doux ou de gentil, il n'a plus rien de celui qu'on adopte lorsqu'on ne sait plus où l'on va. Il est dur, déterminé, et ne me laisse pas d'autre choix que celui d'écouter.
Mon téléphone vibre à nouveau dans ma poche, j'ai dû m'en détacher en prenant la fuite. C'est étrange, c'est idiot, mais le sentir tout contre moi me donne presque assez de courage pour affronter ce qui m'attend.
Je glisse ma main dans mon jean et d'un geste, décroche l'appel sans en sortir l'objet.
— Très bien, accepté-je. Mais tu recules, dans ce cas.
Il fronce les sourcils, puis incline le menton.
— Tu as peur de moi ? finit-il par demander.
— C'est une affirmation ?
— Je n'ai rien fait à Olivia, Angie. Bon sang, tu dois me croire.
— Et j'essaye, rugis-je en le repoussant de mes deux paumes. Je tâche de comprendre, d'assembler toutes ces foutues pièces du puzzle qu'est la vie d'Olivia, mais tu viens d'avouer que...
— Je l'ai poussé.
— Et elle est tombée.
— Oui, mais je n'ai jamais dit qu'elle était morte, enfin ! Elle s'est emportée, elle a giflé Caro, et quand je suis intervenu, elle m'a frappé, aussi. Je voulais simplement l'en empêcher et puis, je n'en sais rien, c'est arrivé. Elle est tombée. Elle n'arrêtait pas de pleurer, elle cognait le béton de ses poings...
Il marque une pause, clos les paupières, puis inspire à fond.
— J'ai compris que je l'avais blessé, ce jour-là. Et pas seulement physiquement.
À nouveau, sa voix tremble de vérité. J'aimerais le croire, je pense même que j'en ai carrément la nécessité, à ce moment-là. C'est sans doute pourquoi je me risque à demander :
— Si ce que tu racontes est vrai... pourquoi ne pas me l'avoir confier tout de suite ?
Il secoue la tête, et laisse enfin la possibilité à mon corps de respirer en reculant d'un pas. Il se frotte le visage, nerveux et éreinté. Puis il admet :
— Parce que je te l'ai dit. Je sais de quoi ça a l'air.
Il baisse le menton et pour la première fois depuis ce qui me semble une éternité, Carolyn le dépasse pour se planter face à moi.
— C'était mon idée, avoue-t-elle alors. Duncan voulait tout t'avouer... mais je l'ai convaincu de ne pas le faire.
Ses yeux flirtent avec le visage encore incliné de son complice. D'un geste rempli de tendresse, elle attrape son bras et s'approche de lui jusqu'à ne faire plus qu'un.
— J'ai vu dans le regard d'Olivia, explique-t-elle. Quand elle a appris, pour nous, j'ai remarqué ce qui remplissait ses yeux. Elle se sentait trahie, mais pas que. Elle était en colère. Une colère sourde, à laquelle nous ne pourrions pas échapper. Elle nous a jugés avant même d'essayer de comprendre. Pour elle, nous n'étions que des coupables, rien d'autre.
— N'est-ce pas légitime ? l'interpellé-je.
— Si... bien sûr. Mais je ne pouvais prendre le risque que ce regard se propage. C'est pour ça, que nous ne t'avons rien dit.
— Si vous m'aviez expliqué, j'aurais peut-être pu...
— Tu nous as dévisagés avec le même foutu regard, le jour où tu nous as découverts, se plaint Duncan. Cette colère, elle a aussi traversé tes yeux.
— Parce que tu m'as menti ! m'exclamé-je.
— Parce que je l'ai trahie ! me contredit-il. Je l'ai trompé avec sa meilleure amie, et ce que ça fait de moi provoque cette animosité, qui s'empare de tes traits à chaque fois que tu nous vois ensemble.
Il fixe ses iris aux miens et poursuit :
— Je ne t'en veux pas, Angie. Ta réaction est normale, elle est humaine. Mais je n'étais pas prêt à l'affronter, c'est tout. Surtout que ça ne change rien. Olivia a toujours disparu, et nous... nous sommes toujours innocents.
J'inspire un grand coup, désormais débarrassée de tout effroi. Si Duncan me voulait du mal, il l'aurait sans aucun doute déjà fait. Quant à sa copine, je ne pense pas qu'elle puisse être l'instigatrice d'une disparition, d'un meurtre ou d'un quelconque crime, hors celui de se taper le mauvais gars. Mon corps entier se relâche lorsque je m'assieds sur mon lit. Cette avalanche d'émotions et ces sentiments contradictoires m'ont mis une claque monumentale. J'ai sans cesse l'impression de revenir à zéro, de recommencer, sans jamais réussir à aller plus loin que la première fois.
Si Duncan et Carolyn sont innocents, ce que je veux bien croire, c'est que quelqu'un d'autre est responsable de ça. Mais cette enquête est si complexe, et moi, je suis tellement perdue, que je ne sais plus comment m'y prendre.
Je le sens, la vérité est juste là, sous mes yeux. Mais je ne parviens pas à la déterrer.
Et tandis que je relève le visage vers le couple, qui paraît aussi déboussolé que moi, trois coups résonnent à la porte. Des secousses fortes, brutales et angoissantes.
Et l'appel dans ma poche prend fin en même temps que la pièce s'ouvre, nous mettant soudain à découvert tous les trois.
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SYKE HACKER T1 - MONSTER (terminé)
RomanceOù est Olivia ? C'est la question que tout le monde se pose depuis qu'elle a disparu. Angie en est certaine, cette disparition cache bien des secrets. Mais si elle s'efforce de rester en dehors de ça, ce n'est pas le cas de Syke, qui est bien déci...