CHAPITRE 7 - Isadora

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J'en ai appris beaucoup sur ma mère, après ces trois jours passés en sa présence.

Tout d'abord, elle passe sa vie à dépenser l'argent de John en allant faire du shopping avec ses amies bourgeoises. Ça, c'est ce qui l'occupe, la plupart du temps.

Ensuite, elle passe des heures dans la salle de bain à se maquiller, s'imaginant certainement qu'elle ressemblera à une belle jeune femme de vingt ans. Mais qu'elle ne se leurre pas : on voit toujours ses rides à travers le fond de teint.

Au moins deux fois par semaine, elle se fait faire une beauté chez une esthéticienne. Tantôt un masque pour le visage, tantôt une épilation intégrale, tantôt un massage... disons simplement qu'elle n'en perd pas une miette, de cette vie de rêve qu'elle s'est construite.

Ou plutôt, qu'on lui a offerte.

Dans un sens, je me dis qu'elle a eu de la chance de rencontrer John, car sans lui, elle ne serait rien. Bien qu'elle ne soit rien pour moi. Mais la question qui me taraude l'esprit c'est surtout de savoir comment elle a pu survivre seule jusqu'ici. D'ailleurs, lorsqu'elle m'a abandonnée, était-ce pour un autre homme ? Ou était-ce simplement moi qui lui pesait ? Ou les deux ?

En fait, je ne veux pas savoir.

Je ne la vois que rarement, ici. Tandis que je passe mon temps enfermée dans ma chambre, elle, passe des heures entières à l'extérieur à faire je ne sais quoi.

Ma mère, quoi.

Finalement, je me demande si ce n'était pas mieux de grandir sans elle. Cela m'a au moins épargné de la voir ramper dans les différentes pièces de notre petite maison de campagne dont la moisissure remontait jusqu'au plafond, à se tourner les pouces sans arrêt, et à soupire lorsqu'elle ne peut pas s'acheter un Gucci ou un Dolce & Gabbana.

Et vive ma génitrice !

John, quant à lui, a l'air de travailler dur pour se payer tout ce luxe. Il part tôt le matin, revient tard le soir. Il travaille dans une immense entreprise dont il est le patron et a l'air d'aimer son travail. Comment ne pas l'apprécier quand on sait qu'on peut prendre des jours de congé quand on veut ?

Et moi, au milieu de tout cela, j'attends que mon beau-père soit présent pour me confronter à ma mère lors de quelques repas que nous partageons. Cet homme m'apaise d'une manière que je ne parviens pas à expliquer. J'en profite tant que c'est le cas. En fait, je ne cesse de me dire que ma mère ne le mérite pas. Elle ne mérite personne. John, contrairement à elle, est gentil, attentionné, drôle... Et surtout, il a une classe d'Enfer sans être pédant, contrairement à cette femme qui doit mettre des tonnes de maquillage pour ressembler à quelque chose et qui se prend pour une autre.

J'espère que la génétique oubliera de faire son boulot, soit dit en passant.

Ce soir, c'est un moment particulier pour moi. En FaceTime avec une amie de longue date qui prévoit de faire le même cursus que moi, nous essayons de trouver un sujet pour écrire notre premier roman car, même si nous souhaitons faire des études de journalisme, nous ne rêvons que d'être écrivaines. Dans mon malheur, j'ai eu la chance d'espérer pouvoir faire mes études sans me forcer à travailler d'arrache-pied comme je l'ai fait depuis que le cancer de mon père s'est dégradé. C'est déjà ça. Mais à quel prix ?

— Et... Comment ça se passe, avec ta mère ? Ose me demander Judy, tandis que je passe mon temps à gribouiller sur une feuille par manque d'inspiration.

— Mmh... C'est pas la joie, avoué-je.

— Tu lui en veux encore, c'est sûr... M...

— C'est pas ça le pire, la coupé-je en levant une main en l'air puis en la faisant claquer contre le bureau. C'est que je supporte pas sa tronche et ses airs de bourgeoise alors qu'elle fait rien de sa vie !

— T'es sûre que c'est une bonne idée, de parler si fort ? Pouffe-t-elle pour détendre l'atmosphère. On pourrait t'entendre... Pan-pan, cul-cul !

— On s'en fiche, je suis seule, répliqué-je. Comme la plupart du temps...

Le visage de ma camarade s'assombrit. Elle n'approuve pas vraiment mes paroles. Après tout, ce n'est pas elle qui a été lâchement abandonnée quasiment dès la naissance et qui vit avec ce fardeau depuis tout ce temps. Cela dit, elle change de sujet pour m'apaiser :

— Alors, des idées ???

— Heu... Non. Syndrome de la page blanche... Me plains-je. Et toi ?

— Mmh... J'ai quelques pistes.

— Du genre ?

— Du genre fantastique. Des dieux grecs ! J'ai envie d'imaginer une histoire d'amour impossible entre un Dieu et une humaine, je ne sais pas...

— Oh, au cœur de l'Olympe, donc ?

— T'as tout compris ! Répond-elle en m'envoyant un clin d'œil. Ça sera sacrément chaud, crois-moi !!!

— T'es sûre que c'est un bon thème pour démarrer...?

— Il y a rien de mieux que le sexe, ma belle ! Pouffe-t-elle à nouveau.

— Si tu le dis.

— Ah, pardon... J'avais oublié ! T'es en retard, aussi !

— Bref ! La coupé-je, sentant la conversation malaisante arriver de loin.

Je soupire profondément et baisse les yeux. J'observe les dizaines de rayures qui couvrent les idées sur ma feuille blanche. Je n'y arriverai jamais. Et soudain, je tourne les yeux en direction de mon réveil et constate que John et ma mère vont bien rentrer pour dîner.

— Il est bientôt vingt heures... Gémis-je pour exprimer mon dégoût.

— Mmh... Et d'ailleurs, elle est comment cette maison ?! C'est aussi grand que tu me l'as décrit ?!

— Oui, c'est immense... confirmé-je. Ça te dirait de venir me voir la semaine prochaine ? Pour... Visiter.

— Je vais faire mieux que la semaine prochaine ! Me corrige-t-elle. Je vais devenir après-demain ! Si t'es dispo ?

J'hésite quelque peu à l'idée que Lyse pénètre dans cette immense demeure et dans tout ce luxe qu'elle et sa famille ne pourront jamais s'offrir. Mais je sens qu'on pourra passer un bon moment. Et face à ses yeux chocolatés insistants, je lui donne ma réponse définitive :

— Oh, heu... Oui, avec plaisir !

— Comme ça, j'aurai le plaisir de rencontrer ta chère mère et surtout, ton canon de beau-père....

Je relève les yeux à une vitesse beaucoup trop basse. Mes gobilles doivent ressembler à d'immenses cratères.

— Qui a dit qu'il était canon ?! rétorqué-je.

— Personne, répond-elle en croisant les bras sur sa poitrine, un sourire satisfait aux lèvres. Mais... Tu as rougi quand tu m'en as parlé tout à l'heure !

Merde.

C'est prêcher le faux pour avoir le vrai, ça ?

Non...

C'est pas son genre...

— Dis pas de conneries.

— Si tu veux, se résout-elle à dire. Quoi qu'il en soit, j'vais devoir te laisser. J'dois aller manger des sushis avec ma mère !

— Super... Bonne soirée, Lyse.

— Toi aussi, ma belle !

Mon amie m'envoie un baiser d'un geste de la main et j'en fais de même, avant qu'elle ne raccroche et que l'écran de mon téléphone ne redevienne noir.

Je me penche sur le dossier de mon fauteuil de bureau et clos les paupières un instant. Mon esprit ne pense plus à rien. Je suis épuisée. Épuisée d'être ici, aux côtés de ma mère. Épuisée de me sentir si seule et si vide. Épuisée de vivre. Et je sais que dans très peu de temps, je vais encore devoir me faire passer pour la fille heureuse que je ne suis pas devant John et Constance.

Je ne devrais même pas dire que c'est ma mère.

Pourquoi le mériterait-elle ? 

DADDY'S GIRL - TOME 1 - The DaddyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant