J'ai toujours vécu avec mon père, pour la simple et bonne raison que ma mère est partie en me laissant à son crochet, quand je n'étais encore qu'un nourrisson. Elle s'est enfuie comme ça, du jour au lendemain, sans donner une once d'explication.
Je ne peux pas vraiment pleurer son absence, car je ne l'ai jamais connue. En revanche, si je ne ressens pas de la douleur à proprement parler, je ressens de la haine.
Durant toute ma vie, je me suis toujours contentée de mon père, qui se tuait au travail, en cumulant deux emplois pour pouvoir subvenir à mes besoins. Je le remercierai éternellement pour ça. Du moins, jusqu'à ce que sa maladie prenne de l'ampleur et que je sois obligée de bosser aussi, après les cours.
Finalement, je dirais presque que je remercie ma mère pour son absence car, grâce à cet abandon, mon père et moi avons construit une relation fusionnelle. C'est simple, je ne sais pas ce que j'aurais fait sans lui. Si j'avais simplement compté sur ma génitrice, j'aurais sans doute fini dans un réfrigérateur ou dans une poubelle du bout de la rue, comme on en voit souvent dans les faits divers.
Quoi que, ça m'aurait certainement épargné cette douleur chronique dans la poitrine depuis qu'elle m'a quittée. J'ai toujours ressenti un vide en moi. Un gouffre qui n'a jamais pu être comblé par qui que ce soit.
Mon père était la seule personne qui me faisait me sentir importante. Oui, parce qu'en sachant que ma mère m'a abandonnée, j'ai grandi en me considérant comme une moins que rien.
Pourquoi ma mère est-elle partie ? Pourquoi m'abandonner, moi ? Pourquoi ne pas donner de nouvelles, même des années plus tard ? Elle aurait pu se racheter, mais elle ne l'a pas fait.
Mon père, quant à lui, a toujours fait de son mieux pour compenser son absence, même si parfois, ça n'était pas de tout repos. Je repense souvent à la première fois où j'ai eu mes règles : mon paternel était en panique totale, et avait couru à la pharmacie m'acheter le nécessaire en demandant pleins d'explications aux pharmaciennes. Je crois que je me souviendrai toute ma vie de son visage apeuré en voyant tout ce sang sortir du corps de son petit trésor, et surtout de mes larmes. Personne ne m'avait expliqué. Car, encore une fois, ma mère n'était pas là.
***
Je vais avoir dix-huit dans quatre mois. Et quand je pense que mon père ne fêtera jamais ma majorité avec moi, j'en ai le cœur qui se serre. Il y a précisément deux semaines, ma seule famille m'a abandonnée à mon triste sort. Je m'y étais préparée. Mais pas maintenant. C'était trop tôt.
Je me souviens encore de mon dernier anniversaire. Mon père m'avait réservé une surprise de taille. Malgré ses petits moyens, il m'avait emmenée dans le plus grand salon du livre de Paris. J'ai toujours été passionnée par la lecture et l'écriture, et il le savait. C'est ce qui me maintient en vie. Vivre dans un autre univers.
Je rêve de devenir écrivaine, et je compte faire des études dans ce domaine. Je vise l'école de journalisme. Je me suis toujours donnée les moyens en bossant d'arrache-pied à l'école, juste histoire de ne pas devenir dépendante d'un homme ou de qui que ce soit d'autre plus tard. Mon père a toujours été fier de moi à ce sujet, et s'est toujours démené pour me l'enseigner.
Seulement aujourd'hui, tout a changé.
Ma vie a basculé du jour au lendemain. C'est fou comme on a toujours tendance à se répéter que ça n'arrive qu'aux autres, alors qu'en fin de compte, les autres, c'est nous. Je pensais continuer à vivre cette vie pendant un long moment encore, mais le destin en a voulu autrement. Le destin a décidé de m'arracher l'être le plus important à mes yeux.
Le cancer de mon père a été déclaré il y a plus d'un an. Inopérable. Et aujourd'hui, il n'est plus. Je n'ai plus rien.
Lorsque les flics sont venus me pêcher à la sortie des cours, j'ai tout de suite su que jamais je n'allais revoir ses yeux vert menthe et le sourire radieux qu'il m'offrait chaque jour. J'ai tout de suite compris que jamais plus je n'allais avoir mon jus d'orange pressé le matin au lever du lit, ni les petits chocolats qu'il passait acheter en rentrant du travail et qu'il m'offrait à la sortie des cours, ni les soirées films que nous organisions tous les dimanches.
En fait, j'ai tout de suite su que j'avais tout perdu.
Que j'avais perdu ma vie toute entière.
Je pensais réellement que la pire chose qu'il pouvait m'arriver en ce monde, c'était de perdre mon père, cette unique personne qui avait de l'importance. Je pensais que je n'avais plus aucune raison de vivre. Aussi ai-je tenté de m'ouvrir les veines, quelques jours après sa mort, alors que je vivais chez une amie de la famille en attendant que le destin veuille bien s'occuper de mon cas. Mais même la mort n'a pas voulu de moi.
Pour moi, rien n'était pire que de vivre sans revoir le doux visage de mon père, et ses mains calleuses, le résultat de tant d'années de labeur pour faire de moi sa petite princesse.
Mais j'étais bien loin du compte.
Les services sociaux se sont mêlés de la situation, et ont fini par retrouver ma mère. Ils n'ont pas mis longtemps, puisqu'elle n'avait même pas daigné changer de territoire. Quelle n'a pas été sa surprise quand ils lui ont demandé de bien vouloir avoir ma garde complète, elle qui vivait une vie rêvée avec son nouveau mari, John, qu'elle avait épousé quelques années plus tôt !
***
J'ai débarqué chez elle un jeudi matin, au bras de l'assistante sociale avec le peu d'affaires que je possédais, devant une immense barraque qui me laissait bien sûr imaginer à quel point elle avait dû profiter de sa vie de femme sans enfant pendant toutes ces années.
Cette demeure ressemblait à celles que j'avais toujours vues dans les feuilletons à la télévision. Mais là, c'était pile devant mes yeux. Cette femme, qui s'apparentait plus à une inconnue qu'à ma véritable mère, a souri en me voyant et puis, en apprenant le décès de mon père, m'a prise dans ses bras pour me rassurer. Comme si elle pensait que cette étreinte allait tout effacer d'un claquement de doigts.
Je l'ai tout de suite détestée.
J'ai détesté son air de fausse bourgeoise arrogante et jamais satisfaite de ce qu'elle a, et ses cheveux bouclés qu'elle devait certainement passer des heures à entretenir chaque jour, puisqu'elle était le genre de femme à se laisser entretenir plutôt qu'à bien vouloir travailler. J'ai détesté son ton faussement amical et heureux. J'ai détesté l'espèce d'amour qu'elle tentait de me communiquer pour que je me sente entourée, alors qu'au fond d'elle, elle avait idée de continuer de vivre sa vie de femme sans enfant pour le restant de ses jours.
Tout.
J'ai tout haï.
Les semaines suivantes, le temps que tout se mette en place, je suis restée dans une famille d'accueil, et suis tombée en dépression. Je souffrais d'insomnies, d'anxiété et ne pouvais plus dormir ni me relaxer sans médicaments. Ils ne s'en sont même pas rendus compte, c'est pour dire à quel point ils s'intéressent à moi.
J'appréhendais ma prochaine vie. Je me demandais sincèrement ce que celle-ci allait pouvoir m'apporter, mis à part du malheur. Je me demandais sincèrement s'il ne valait mieux pas mettre fin à mon calvaire dès maintenant, histoire de ne pas subir toutes ces journées et ces nuits de tristesse et de désespoir. Mais je n'ai jamais eu le courage de recommencer. Ça m'avait fait trop mal.
Voilà.
C'est moi, Isadora, la jeune fille dépressive et à moitié orpheline d'à peine dix-huit ans, qui se force à rester en vie au fil des jours qui s'écoulent pour faire honneur à son père, en se répétant sans cesse que c'est ce qu'il aurait voulu.
Ce soir, assise sur le bord de ma fenêtre, j'admire le coucher de soleil et ses reflets dorés pour la dernière fois, car je vais bientôt mourir.
Oui, demain, je prends le train pour rejoindre ma mère, et emménager définitivement à ses côtés, et à ceux de son nouveau mari que je m'apprête à rencontrer.
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DADDY'S GIRL - TOME 1 - The Daddy
RomanceEN COURS DE CORRECTION !!! Isadora est sur le point d'avoir dix-huit ans. Malheureusement, peu avant son anniversaire, un drame se produit : son père, qu'elle aimait plus que tout au monde, décède des suites de son cancer. Isadora n'a d'autre choi...