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— Tu m'écoutes Nat ? demanda Aoki.

— Hein quoi !

— Faut que tu arrêtes de tirer cette tête.

— Désolé.

— Tu l'es beaucoup ces derniers temps.

— C'est vrai, ajouta l'autre fille dont il espérait le silence. Car si elle s'y mettait, il n'y survivrait pas.

— D'accord, excuse-moi.

— Qu'est-ce que t'as ? questionna Aoki on ne peut plus sérieuse.

  Il sentait l'éruption imminente d'un volcan et réfléchit sur l'attitude à adopter. Prendre un avion pour Hell's paradise ? Manger un fruit du démon ? Sourire et éviter le sujet ? Tout, sauf la vérité.

— Je vais bien.

— On te croit, mais cela ne nous donne pas de preuve pour autant.

— Je vais bien, je vous dis, répéta-t-il en croquant dans son hamburger.

— Si tu le dis. Alors tu es partant, demanda Aoki.

— Partant pour quoi ?

— Dessiner mon portrait.

   Nathan connaissait la phrase magique qui lui donnerait quelque temps de repos : « oui, bien sûr ». Il devait l'articuler, si possible avec un grand sourire. C'était ce qu'il faisait d'habitude. Sourire comme un con. Les regarder en restant en retrait et en se contentant d'être là tout simplement.

— Non, je ne pourrais pas.

— Demain alors ?

— Non plus.

— Pourquoi ?

— Je déteste les portraits.

   Il soupira en comprenant qu'il venait de donner l'arme de son massacre. Alors, il adopta une autre manœuvre : la fuite. Il se leva en laissant son assiette sur la table et battit en retraite hors de la cafétéria. Ses amis ne le suivraient pas. Découvrant le couloir déserté, il se retourna pour voir s'il pensait juste, et en effet, personne ne le prenait en chasse. Il était seul. Mais à quoi bon ?

   Il s'appuya sur le mur et glissa en sentant la tristesse monter. Pourtant, il s'était promis de respecter son quota de séance pleurnicharde. Il enfouit sa tête entre ses jambes et essaya de ne penser à rien, de tout oublier dans ce moment pluvieux parce que c'était ce qu'aurait conseillé un psy. Il ne fallait pas retenir les choses qui désiraient sortir. Ça risquait de faire plus de dégâts. Dans un océan de désespoir, on lui promettrait un bateau de fortune, alors il devait nager, nager, nager avec ça au fond des tripes. Cependant, voilà plus d'un an qu'il nageait et cela l'énervait plus qu'autre chose. Il voulait des réponses à toute ses pourquoi et ses comment.

   Il souhaitait savoir à quoi se résumait son avenir. Son envie de devenir illustrateur l'avait quitté depuis longtemps et il l'avait accepté. S'il voulait un gagne-pain correct pour ne jamais revenir auprès des Osborns, il lui fallait un métier décent. Le genre de métier ennuyeux qui nous enfermait dans une routine, mais qui nous procurait un semblant de sécurité. Pourquoi pas comptable ? Dessinateur ne faisait pas très sérieux dans le monde des adultes. Il le voyait dans les yeux de son très bon père. Enfin, pensait-il le voir.

   Rien que pour le contredire, Nathan aurait aimé prendre son courage et plaqué haut et fort qu'il deviendrait dessinateur. Un grand si possible. Mais il savait déjà le genre de réponse qu'aurait donné Edgard. Il lui aurait souri, et lui aurait dit : « d'accord, mais apprends quelque chose qui te donnerait un max de tunes. » Toujours dans son optique d'opposant farouche, Nathan aurait refusé, mais Edgar sortirait un argument de taille, genre : « tu pourrais te procurer des matériels de qualité avec cet argent. » Il se rendrait compte que ses mots étaient pleins de sens et abdiquerait. Il se lancerait peut-être dans le marketing comme Barbara ou plagierait les parents d'Ao en prenant un abonnement avec les plus grands couturiers du pays.

   Il ignorait ce qu'il voulait et cela n'avait pas d'importance. Il ne l'obtiendra jamais. Il avait toutes les raisons du monde de toucher à la clope, ou autre poison qui ferait visiter le paradis en moins de deux. Genre marijuana, coque ou du LHD. Mais il les évitait du mieux qu'il le pouvait. Et puis franchement, cela ne lui donnerait l'air pas plus cool qu'il ne l'était déjà. Nathan sourit à cette pensée. Oui, il était cool. Même paumé et assis comme un déjanté à même le sol, il l'était.

   À mesure qu'il répétait cette phrase, il y croyait à petit feu, mais un bruit lui fit ouvrir les yeux pour voir deux élèves qui venaient vers lui. Il se releva aussi vite qu'il le put, essuya ses yeux et fit mine d'être cool. Quand les deux intrus passèrent à sa hauteur, Nathan leur sourit en espérant qu'il le rendrait à leur tour. C'était trop demandé. Les deux compagnons préférèrent se payer sa tête.

— Tu t'es fait larguer par ta copine mon vieux ? demanda l'un avec un léger sifflement.

— Faut pas pleurer dans les couloirs, tu sais ça au moins.

GØN : quête et guète, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant