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   Ces mots le surprirent, mais il les pensait. Cela n’apaisait pourtant pas cette acide qui le dévorait de l’intérieur. Edgard secoua la tête en silence. Nathan pensa qu’il avait dit un mot qu’il ne fallait pas. Après mainte répétition, il ne voyait rien.

— J’accepte tes excuses ? enchaina-t-il sans réfléchir.

   Il le regretta aussitôt. Pour qui se prenait-il à enfiler de telles phrases ? Il fallait garder un registre normal et sans sous-entendu. Éveiller des soupçons maintenant serait la pire des sottises. Heureusement, Edgard ne vut que du feu et lui adressa un grand sourire forcé.

— Merci.

   Il aurait aimé continuer à parler. Discuter avec Edgard comme avant lui manquait. Mais il ne pouvait pas s’attarder ici. Rien ne disait que la prochaine personne qui passerait devant chez eux ne voudrait pas le tuer. Il lâcha une excuse bidon, soupira en ruminant que c’était la dernière fois et rentra. Ses pieds le menèrent par ci et là à travers la maison. En vrai, il avait hâte de la laisser pour de nouveau horizon. Cela conviendrait à tout le monde.

   Nathan regarda Brayden et Greta qui s’amusaient sur leurs écrans. Oui, cela conviendrait à tout le monde, c’était obligé. Il regagna sa chambre et joua à candy crush pour passer le temps. Quand ses doigts lui firent mal, il envoya valser le portable et coucha sur son lit. À peine le menton sur l’oreiller moelleux, un vent froid l’assaillit et voix-de-ferraille apparut dans sa chambre. Le portail bel et bien visible dans son dos. Nathan ressentit de la joie et du soulagement. Cette inconnue distillait la promesse de protection, et quoiqu’il avait peur de se tromper, il décida d’y croire.

— Fait comme chez toi, lança-t-il pour lancer la conversation.

   Son invité ne s’y prêta pas au jeu et demanda s’il était prêt. Nathan pointa du doigt son seul sac.

— Plus c’est léger, mieux c’est. Dépêche-toi, on y va.

   Le masqué tendit la main vers le portail. L’image qu’il affichait se déforma et se reforma sur une forêt très dense. Nathan se convainquit qu’un refuge pour les personnes comme lui devait se protéger des voyeurs. Il attrapa son sac, déplia sa lettre et le déposa sur son lit.

— C’est très court pour une lettre d’adieu, commenta voix de ferraille.

— Plus c’est court, mieux c’est.

— Tu vas devoir laisser ton portable.

— C’est hors de question !

— Alors, autant rester ici. Ces gens-là se servent de tout ce qu’ils ont sous leurs mains pour traquer leur proie.

— Je ne suis pas une proie.

— Tu l’es.

   Nathan soupira. Qu’est-ce que cela lui rapporterait de tenir tête sinon de voir quelqu’un traverser sa porte et faire une crise cardiaque ? Il scana sa chambre quelque seconde, courut vers un tiroir de son buffet pour attraper une figurine d’Eren Jaeger (un petit souvenir ne ferait pas de mal) et dit qu’il était prêt pour le départ.

   Il retint son souffle et traversa le liquide. La sensation de flotter dans le vide lui retourna l’estomac un court instant avant de mettre les pieds sur la terre ferme. L’inconnue le suivit très rapidement tandis que le miroir s’évapora en une fine fumée qui se perdit dans le ciel.

   Nathan ne prit pas longtemps pour comprendre que cette forêt était dangereuse. Les arbres touffus cachaient le ciel et l’odeur de la terre fraiche lui perçait le nez. Ça sentait aussi bon la terre ? Les couinements d’insecte et d’oiseau cassaient les tympans. Rien à avoir avec les bois de Milocity.

— Où sommes-nous ?

— Moins t’en sais, mieux c’est.

— Mais c’est…

   Voix-de-ferraille arrêta de l’écouter et se mit en marche. À force de progression, Nathan sut qu’il se trouvait en montagne et cela ne le rassura pas du tout. Elle semblait être coupée de tout. Les arbres s’étalaient à perte de vue et la mélodie de la nature continuait de lui agacer les oreilles. Les feuilles s’amusaient entre elles lorsque le vent leur saluait. Les oiseaux chantaient à n’en plus finir. Il pensa que c’était le genre d’endroit où l’on pouvait tomber sur un loup ou un ours. Sa peau fit la chair de poule en s’imaginant dans la gueule d’un prédateur shooté à la cam. Mais il pensa qu’un homme capable de créer des portails de téléportation pouvait venir à bout d’un animal.

   Des arbres et toujours des arbres.

   À mesure qu’il traversait les troncs, l’idée de s’être fait avoir s’implantait dans son esprit. Un peu comme les lecteurs d’Agatha Christie à chaque fin de roman. Devait-il faire demi-tour et courir ? Pour aller où ? Non, il devait faire confiance et espérer une bonne personne sous le masque (malgré les épées et les couteaux).

   Il marcha dix minutes ou quinze avant d’aborder un plateau qui lui permit de souffler. Une maison de bois trônait en son centre et accostait un Ford noir fier de ses grosses roues. Une route en terre battue serpentait en contre bas. Une pancarte annonçait à l’entrée : « Domaine privé ». La première pensée qui traversa Nathan fut que cela n’avait rien d’un domaine. Une grande cabane, oui. La seule touche moderne ici restait les ampoules, surement alimentées par les panneaux photovoltaïques sur le toit. Nathan serra les bandoulières de son sac avec des doigts tremblants et avala plusieurs fois sa salive. Voici donc cet ailleurs qu’il attendait tant ! Ce n’était pas du tout ce qu’il s’imaginait.

GØN : quête et guète, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant