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   « Ça ne pouvait pas être réel. »

   Il prit sa tête en coupe et répéta que ce n’était pas réel. Une minute après, les lignes brillaient encore. Il voulut hurler sa colère, mais se retint au dernier moment. Alors, il resta assis là, caché dans les chiottes, en attendant qu’il revienne à la réalité.

   Sa patience ne porta pas de fruit et quand la sonnerie qui notifiait la reprise des cours s’enclencha, il regretta de ne pas avoir fui l’école. On lui transperça les tympans avec des milliers d’aiguilles. Du bruit, du bruit, du bruit, encore du bruit.

   Cinq minutes plus tard, le silence de mort l’apaisa. Cela faisait un bien fou. Il se leva, retira le loquet de la porte, lança un coup d’œil pour s’assurer qu’il n’y avait personne, fonça sur la porte d’entrer, la vérouilla et se jeta devant un miroir. Et là, il éclata un sanglot.

   Il approcha son visage du miroir pour mieux voir ces traces sur ses joues, son front et… ses yeux qui n’avaient plus rien d’humain. Il passa vingt fois les doigts dessus, hypnotisé par sa beauté et le danger qu’ils inspiraient. Nathan ouvrit l’eau du robinet en puisant dans ses dernières ressources mentales et le regarda couler. Il entendait le choc de l’averse à plein volume, mais il s’y était préparé.

   « Allez Nathan, ceci n’est qu’une putain de connerie. C’est vrai, il faut ouvrir les yeux, maintenant. »

   Ses doigts plongèrent dans le liquide glacé et y restèrent plusieurs secondes. Au moins, son toucher demeurait fonctionnel. Il s’accrocha à ce brin de normalité et propulsa plusieurs vagues sur son visage. Combien de fois répéta-t-il ce geste ? Impossible pour lui de répondre, mais il s’y attela comme si sa vie en dépendait. Une fois épuisé, il retint son souffle, leva la tête et déplia les paupières aussi lentement que possible. Encore une fois, il resta tétanisé par le tableau.

   Tout était normal. Plus de lignes, plus de couleurs, plus de bruit. Rien. Il porta sa main à sa bouche et étouffa un cri. Un cri qui mêlait soulagement et peur. Qu’est-ce que cela voulait-il dire ? Un rêve ? Devenait-il cinglé ? Probablement. Et tous ces souvenirs qui apparaissaient comme par magie. Il pourrait évoquer les moindres détails qui les formaient et c’était dangereux.

   Il laissa les toilettes en espérant que ses amis avaient pris son sac et jugea que retourner en cours serait terrible. Le mieux serait d’inventer une maladie et d’aller s’enfermer dans l’infirmerie. Cela résoudrait beaucoup d’interrogation que ses amis n’allaient pas manquer de soulever. Il n’eut pas trop de mal à convaincre l’infirmière. Quel intérêt avait un élève de venir s’installer ici alors que c’était les derniers jours d’écoles ? Sur le lit blanc et derrière les rideaux qu’il avait expressément tirés, son esprit vagabonda de part et d’autre et finit par s’endormir. 

   On le réveilla à la fin des cours. Pour remercier son hôte, il clama être guéri de sa maladie fictive et rejoint les couloirs envahis par les élèves. Nathan redouta un intérêt soudain de ses pairs à son égard. La rumeur filait plus vite que l’éclair. Mais non, il était toujours ce lambda auquel personne ne prêtait attention. Cela lui donna le sourire.

   Il allait peut-être sortir indemne de cette… mésaventure. Il se mêla à la foule et prit la direction de sa classe en espérant retrouver ses amis. « Autant de repères possibles ne pouvaient que faire du bien. » Nathan les trouva devant la salle, les yeux scannant les alentours à sa recherche. Son sac essoufflait Stephen qui ne manquait pas de râler. Quelle chance de les avoir, pensa-t-il.

— Où étais-tu passé bon sang ! lança Ophélia quand il allait à leur rencontre.

— Infirmerie. Mal de tête, répondit-il le ton le plus détaché que possible.

   On ne remit pas en cause sa version et on lui envoya son sac en pleine tronche.

— Je ne suis pas ton laquais. Et arrête de mater des animés et des scans en pleine nuit, dit Stephen.

— Laquais ?

— Vous ne connaissez pas ce mot ? Cet un synonyme de valet.

— Et qu’est-ce qui t’empêche de dire valet comme tout le monde ?

— Quand c’est comme tout le monde, ça manque d’originalité, répondit-il en prenant la pose.

   Nathan mêla son sourire aux autres. Sa tête n’y était pas, mais il devait faire semblant. Il les dire au revoir près de la porte d’entrer et attendit Brayden. Ce dernier apparut six minutes trop tard et s’attendait à un surmenage. Mais son grand frère se contenta d’un sourire blasé avant d’aller prendre le bus. Ils s’assirent côte à côte et se murèrent dans le silence.

   Le cœur de Nathan enchainait une valse folle et sa tête lançait des hypothèses pour tenter d’apporter un brin de lumière. Il regarda son avant-bras avant d’enfoncer ses doigts dans sa jambe. La ville défila derrière la vitre, toutefois il avait perdu de son charme. La vie avait perdu de son charme. Nathan se voyait déjà dans un de ces internats où les gardiens se prenaient pour Dieu et où des somnifères remplaçaient le café. Il portait déjà cet uniforme qui gênait ses mains et entendait les demandes incessantes des psychiatres qui la prendraient pour une bête de foire. « Alors, comment allez-vous aujourd’hui ? Et ces délires ? Intéressant. »

   Le pire dans tout çà, pensa-t-il en plaquant son front sur le siège, c’était qu’il ne pouvait tenir personne pour responsable. Personne sauf lui et ses neurones de piètre qualité.

GØN : quête et guète, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant