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   Quoique dire : « remuer le cul » le discréditait, Nathan le croyait.

— Il va falloir laisser une petite lettre et simuler une fugue. Mais tu ne reverras plus ta famille.

   C’était si grave que ça ? Il avait la mauvaise sensation d’entendre un diagnostic d’un médecin détaché. Aucune compassion et aucune retenue. Il évoquait des faits, voilà tout. Il lui disait ces choses comme un simple bonjour. Après tout, ses épées n’étaient pas là pour la déco.

   Nathan ressentit un vent frais sur le visage. Il devait agir comme un homme. Se redresser et cracher à la gueule de cette putain de destin. Il allait avaler ses pleurs et se sacrifier comme un homme. Oui, il fallait quitter les Osborn, Milocity et le club des insoumis.

— Qui sont ces gens ?

— Des gardiens.

— Des gardiens de quoi ?

   Le masqué lui fit comprendre que cette réponse serait pour plus tard, car il allait partir. Nathan ressentit un frisson derrière son cou, le même que devaient ressentir les enfants quand leurs parents les laissaient dans le noir en pensant qu’il y avait un monstre sous le lit. On lui expliqua aussi qu’il allait devoir être très prudent ces prochaines heures et par-dessus tout, rester zen. Sa transformation les attirerait.

   Au moins une information importante, pensa-t-il. Satisfait, le masqué tendit un bras et une épaisse fumée verte s’éleva de la terre, forma un ovale parfait et se transforma en un miroir liquide qui renvoyait l’image de sa chambre. Le premier mot qui vint à l’esprit de Nathan fut « cool ». Et ça l’était.

— C’est trop risquer de prendre la route.

   Nathan sut qu’il allait devoir traverser, et cela l’intimidait. Ce n’était pas l’image exacte qu’il avait d’un portail de téléportation. Une chose qui ne devait pas exister. Il retint son souffle, regarda voix de ferraille et tendit un pied. Le froid, puis l’électricité l’accueillirent néanmoins, il ne s’arrêta pas pour si peu. Il se sentit flotter une seconde puis mit les pieds sur quelque chose de dur. Le sol de sa chambre. Il se retourna pour remercier l’inconnue, mais le portail avait déjà disparu.

   Nathan secoua la tête, inhala cinq litres et pleura. Un homme. Soit un homme ! Il essuya ses larmes avant d’attraper une feuille de papier et un stylo. Il s’assit devant son bureau en toisant la partie manquante et se concentra. Beaucoup de mots lui trottaient la tête et se mixaient entre elles jusqu’à être dénué de sens. Quoi dire ? Mauvaise question. Quoi ne pas dire ? Une feuille ne pourrait pas contenir tout ce qui pendait au doigt. Il devait procéder par élimination. Oui. Toutes les phrases superflues et celles qui pourraient expliquer la moindre part de vérité sur sa vraie nature seront refusées. Pas de je t’aime, ou de je suis désolé. Le strict minimum. L’information vitale. Les secondes mutèrent en minutes et la sueur perlait sur son front. L’étrange sensation d’être observé ne cessait de le déconcentrer. Les mots n’étaient pas son hobby, mais il devait faire mieux. Ils les utilisaient chaque jour.

   Quinze minutes plus tard, il souffla en pensant et regarda son message inscrit avec des mots plus grands que la normale. « JE VAIS DEVOIR PARTIR ». La perfection n’était pas de ce monde. Il plia la feuille en deux (de quoi cacher la surprise) et réfléchit à l’endroit où il allait devoir la placarder. Le pire serait qu’elle passe inaperçue. Que son absence passe inaperçue. Ce serait le pied, mais cela ne l’étonnerait pas. Un étranger restait un étranger et à un moment donné, il devait partir.

   Nathan fixa le plafond, se laissa surprendre par la rage du titan assaillant dans l’affiche de SNK, se dirigea vers lui et se figea devant lui quelque temps. Il finit par déposer les doigts, puis les paumes avant de l’agripper et de la déchirer en lambeau. RESTER ZEN ! Rester zen, mon cul, pesta-t-il à lui même. Comment l’être avec toutes ces conneries de glandeur pourri gâté ? Ces insultes ne possédaient aucun sens, mais il s’en battait les couilles, les noisettes et les boules. Et puis, d’une certaine manière, il évacuait les mauvaises énergies. Sans hurler. Nathan déchira jusqu’à ne plus rien pouvoir tenir entre ses doigts. Il se traina vers son lit et se laissa tomber pour attendre son vieil ami Morphée.

   Ce fut les rayons de soleil qui le réveilla. Il commença par se lover dans les bras en pensant à ce bon coin douillet et que le premier weekend des grandes vacances pointait le bout de son nez. Néanmoins, il se rappela tout le reste et se releva brusquement. Il aurait déjà dû partir. Les fuites débutaient à l’aube, n’est-ce pas ? Et il songea que le masqué ne lui avait pas donné de directives. Et merde ! Au moins, cela lui donnerait le temps de faire sa valise.

   Il ignorait sa destination. Peut-être une maison pour enfant bizarre. Égoïste, mais le soulagement l’envahit en imaginant d’autre que lui. Comment rester indifférent à l’idée que quelqu’un d’autre vivait les mêmes émotions que nous ? Nathan scanna sa chambre et remarque que les bouts de son flyer n’étaient plus là. Le message ? Il courut vers son bureau. Cette personne avait vu son bureau. Arg, de toute façon il ne pouvait rien. Et une partie manquante d’un bureau s’expliquait. En tout cas, laissait place à l’imagination pour des mensonges convaincants. Tout le contraire d’un : « je vais devoir partir ». Cependant, Nathan trouva la feuille pliée au milieu de son bloc de feuilles. Il sourit et la remit à sa place.

GØN : quête et guète, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant