— C'est abusé tout de même. J'ai les fesses en feu, râla Aoki.
Étant grand fan de manga, Nathan crut bon nombre d'années que son amie pouvait parler avec les yeux ronds, la bouche carrée et le corps flasque. Tout ça à cause de son côté nippon. Il faisait exprès de lui mettre de la terre dans les cheveux rien que pour satisfaire ce désir de vivre cette expression qui le faisait tant marrer.
Mais en grandissant et en comprenant que le père Noël s'était fait zigouiller en descendant le cheminé d'Ithler, et qu'un chasseur bourré avait bouffé le lapin de pâques, l'évidence rattrapait ses espérances.
Il caressa la feuille de son index, examina le rendu de sa création et soupira. Ce n'était pas parfait, mais il progressait. Son style mi-réaliste et mi-fantaisiste s'aiguisait de jour en jour. C'était l'un des points qui l'avait rendu amoureux du dessin. Donner les traits et le ton à une image imaginaire ou réelle était plus qu'une chance, c'était un pouvoir.
— J'ai fini ! s'exclama-t-il en levant les mains.
— Non d'une crevette, ce n'est pas trop tôt, gémit Ophélia.
Les trois souffre-douleurs tombèrent sur le lit et marièrent leur soulagement d'avoir surmonté cette épreuve.
— C'était pas une éternité non plus, défendit Nathan en leur montrant son œuvre.
Il s'attendait à voir des étoiles filer dans leurs yeux devant son génie. Qu'ils se mettent tout de suite à lui demander un autographe pour quand il deviendra célèbre, mais il n'eut qu'un : « hmmm hmmm » qui piqua son égo de créateur en herbe.
— Et tu me dis en quoi c'est mieux qu'une photo ? Mec, va falloir arrêter, tes trucs-là.
— C'est de l'art, et t'as pas le droit de dire quelque chose qui risque de m'énerver, parce qu'aujourd'hui...
— C'est ton anniversaire, coupèrent les autres.
Ils rirent tous. Un rire franc, plein de bonheur et de vie. Nathan pensa qu'aucune expression ne rivalisait avec celle-là et c'était cela qu'il voulait emprisonner dans ses feuilles. Faute de pouvoir y arriver, il la partageait avec eux.
Nathan adorait ses amis, mais il ne le dira jamais. Ils le prendront pour un sentimentaliste démodé qui voulait enfiler de belles phrases. Et à quoi bon dire tout haut ce que tout le monde savait ? C'était comme dire que la terre tournait autour du soleil, que Miles Morales avait la classe ou que si vous mouriez sans avoir regardé l'attaque des Titans, Dieu vous donnera une nouvelle vie.
Il ne se rappelait pas quand leur petite bande s'était formée pour devenir le quatuor le plus iconique et mémorable de leur école. Mémorable dans le sens qu'ils foutaient une pagaille pas possible dans l'établissement et s'amusaient à semer des grains de révolte dans la tête de leurs homologues. Pourquoi étions-nous obligés de commencer les cours à sept heures trente ? Pourquoi n'avions-nous pas le droit à des profs aussi élégants que Tony Stark ? Pourquoi n'étions-nous jamais conviés à des réunions pour faire passer nos points de vue. Ils s'ancraient bien dans leur délire et ça leur réussissait. Ils avaient même réussi à faire signer à cinquante-trois élèves une pétition qui suggérait que tous les profs devaient s'abonner à une salle de sport. « Pour leur santé », ajoutaient-ils comme argument de base.
Les Beatles de la révolution scolaire. Cette routine leur convenait bien. Cela rythmait leur journée et plus important encore, solidifiait leur relation. C'est ce qu'avait déclaré Stephen un après-midi au bord de la rivière. « C'est ce qui nous définit en tant que groupe et qui solidifie nos liens. Toutes les conneries que nous faisions nous éloignent du monde et nous élèvent. »
« Ah, c'est tout Stephen ça, » avait pensé Nathan. Lui et ses grands airs d'écrivain à la Victor Hugo. Il n'avait que onze ans et pourtant il se vantait d'avoir lu Balzac, Joyce, et Jeanne Austine. ONZE ANS ! Un grand romantique dans l'âme qui rêvait d'une chose : devenir le romancier qui fera fondre le cœur du diable par son talent. Avec ses cheveux roux et bouclé, son visage d'œuf, ses yeux verts, son corps frêle et élancé qui ne cadrait pas avec sa timidité, Nathan s'avouait qu'il en avait. Mais ça encore, il ne le dirait jamais. Il préférait râler sur son besoin de trainer un roman avec lui, de faire ses devoirs avant tout le monde, et ce p'tit plaisir qu'il n'arrivait pas à cacher quand on lui demandait de l'aide.
Ce dernier défaut mettait toujours en rogne Ophélia. « Tête d'araignée, ce n'est pas comme si t'avais inventé l'avion », pestait-elle le plus souvent.
Ophélia était l'artiste, la déréglée, la non-conformiste du groupe. Le genre de fille incomprise qui avait besoin de faire passer sa vision, et ceci au détriment des autres. Des cheveux blonds, une bouille de poupée Barbie, des cils plus hauts que l'Everest, sa plus grande passion était d'ennuyer Stephen et de chercher un moyen d'agrandir ses oreilles qu'elle jugeait trop petites. « La cause aux gênes merdiques de mon père », justifiait-elle. Elle avait horreur de ces minuscules oreilles et elle n'aimait vraiment pas quand ils étaient le sujet de discussion comme maintenant.
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GØN : quête et guète, Tome 1
ParanormalQuand Nathan Osborn voit ses yeux changer de forme et des lignes tracer sa peau, il découvre un monde où magie, monstres et mystère se marient pour le meilleur et pour le pire. Un monde où les secrets sont nécessaires et où sa vie ne tient qu'à un f...