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   Sa langue grossissait au rythme de son cœur. Malgré l’angle obstrué, il comprenait ce qui se déroulait. Jannick ou le loup-garou dévorait un cheval mort. Vu la hargne qu’il y mettait, cela devait être délicieux. Il ne l’avait pas entendue s’approcher ? Avait-il toute sa tête ?

   Une perspective négative ébranla son sang-froid. Peut-être que Jannick portait idem sa part d’ombre qui le forçait à commettre des choses horribles. C’était dangereux de se trouver ici. Alors, aussi souple qu’un serpent, il recula pour s’en aller. Un pas, deux, cinq, dix avant de piquer un sprint. Son pouls s’emballait et sa zénitude s’envolait à mesure qu’il dévorait les mètres.

   C’était ça être un loup-garou ? Il lorgnait derrière lui pour s’assurer qu’on ne le suivait pas. Ses oreilles bourdonnantes ne servaient plus à rien. Nathan percuta un arbre et érafla son avant-bras. Il y lança un bref œillade. L’entaille s’effaçait déjà, comme un trait qu’on gommait. Quelle était sa partie sombre à lui ? Il poursuivit sa course jusqu’à percevoir la maison. Il accéléra, regarda derrière lui encore une fois, pénétra dans la bicoque, passa le loquet de la porte et le fixa en attendant qu’il vole en éclat. Calme-toi Nathan. Ce n’est rien. Tout va bien se passer. Oh mon cul, oui, tout allait bien se passer.

   S’étant converti en pessimiste extrémiste, cela lui faisait bizarre de jouer la carte de l’autopersuasion. Il y avait toutes les raisons de paniquer. Tout pourrait virer au drame. Il se trouvait dans le trou du cul du monde, en compagnie d’un loup-garou qui s’amusait à dévorer un cadavre, en sachant qu’il y avait des steaks dans le frigo. Des bons steaks. Non, ça n’allait pas aller mieux, pourtant cinq minutes plus tard, la porte restait fermer. Son cœur avait repris un rythme normal et il ne repérait aucun monstre dans le radar sonore.

   Toujours dans cette optique à envisager le pire, il sortit de la maison et rinça son regard partout. Rien. Un sourire flirta sur ses lèvres, mais il le réprimanda. Il rentra engloutir un verre d’eau et s’assit sur le canapé pour faire le point sur la situation. Cela n’avancerait pas à grand-chose, mais simuler un sentiment de contrôle ne pouvait faire que du moins. Il gratta la tête, comme ces participants à des jeux télévisés où il était question de prise de décision et d’argent. Au bout de quelques instants, il comprit que sa réaction n’avait aucun sens. Il savait depuis le début que Jannick était un loup-garou. Un monstre. Alors pourquoi cela le surprenait autant ? Peut-être à cause de l’odeur putride, ou les yeux vitreux du cheval, ou cette hargne. Il dévorait de tout son cœur. Assez bizarre comme mots, mais ils sonnaient juste.

   Comment un gars qui cuisinait du steak comme un cordon bleu pouvait-il dévorer une chose aussi infectes ? Parce qu’il n’était pas un homme tout simplement. Nathan se mordit les doigts et se rappela des mots de Jannick il y a quques semaines. Il n’y avait rien de wow à se trouver dans la partie fantastique du monde. Il faisait bel et bien partie de ce monde-là, désormais. Alors cela voudrait-il dire qu’il devait s’attendre à faire des choses désagréables ?

   Le poids de ses pensées le força à se coucher sur le canapé et à fixer le plafond. Il n’avait plus de rocher, donc il fallait se contenter de ça. Cela ne le calma pas, mais il perdit la notion du temps jusqu’à ce que le poignet de la porte se mit à tourner frénétiquement.

— Hey putain, mais c’est quoi ce bordel ! ragea Jannick.

   Nathan se plaça sur ses pieds en redoutant la suite.

— Tu vas me dévorer c’est ça ? demanda-t-il en mettant ses mains sur sa tête.

— Mais qu’est-ce que tu racontes ?

— Ne fais pas comme si tu ne savais pas. Je t’ai vue dans la gorge de ce cheval. C’est ce que tu vas me faire ?

   Le silence embarqua le peu de son calme.

— Mais réponds bordel ! Je ne peux plus rester ici. Tu es un monstre. Tu vas me bouffer !

— Ferme-la et ouvre la porte !

— Non.

— Bordel. Je te rappelle que c’est chez moi.

— Je m’en fiche.

— Je n’ai pas envie de défoncer ma porte alors ouvre bon sang.

   Mais la décision de Nathan était déjà prise. Il la garderait quitte à risquer de se faire déchiqueter par un monstre en colère. Un peu bête comme fin à bien y penser. Il paniquait et dans son petit cerveau d’ado, il pensait que cette maison le protègerait du grand méchant loup. Mais la barrière s’ouvrit dans un éclair et envoya valser le loquet qui la retenait. Les yeux de Jannick crachaient du venin et sa mâchoire avait pris du poids. Il traversa le seuil de la porte, déposa son poing sur son front et fulmina.

— Regarde ce que t’as fait.

   Nathan avait trop peur de parler. Il se contentait de calculer le temps que cela lui prendrait de passer entre ses jambes. Cela énerva tout de même Jannick.

— Arrête de me regarder avec ces putains d’yeux. Ce n’est pas comme si tu l’ignorais.

— Que tu bouffais des cadavres d’animaux ? Bien sûr que oui.

— Eh ben surprises. Si tu n’avais pas envie de le savoir, t’aurais dû rester ici. Comme je te l’ai demandé.

— Oui, t’as raison. Je n’aurais jamais dû voir ça. C’est horrible, c’est dégueu, c’est…

— Monstrueux. Ouais je sais, pas la peine de me le dire. Et tu sais quoi, c’est ce que tu es toi aussi.

GØN : quête et guète, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant