Chp 18 - Rika : le bal des ombres

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Je crois que Ren fut aussi surpris que moi par ce que nous découvrîmes en posant le pied sur ce bord inconnu. Tout était silencieux. Une épaisse couche de givre recouvrait la moindre paroi. La lumière que nous avions cru voir à l'extérieure n'existait pas : il régnait en ces lieux une pénombre opaque, et une froideur de caveau.

Le vaisseau était mort. C'était bien le territoire d'Arawn, le dieu du néant.

— Il n'y a plus rien, ici, ne pus-je m'empêcher de murmurer.

Personne ne me contredit.

Ren se tourna vers l'émissaire.

— Où sont-ils ?

Son ton, devenu soudain plus coupant que la glace vive, offrait un net contraste avec le léger badinage qui avait été de mise jusqu'ici. L'émissaire le comprit, et il se fendit d'une profonde courbette.

— Dans la grande salle, seigneur...

— Conduis-moi à eux. Rika, tu restes là.

Ren disparut dans les immenses couloirs, comme aspiré dans les ténèbres. Je me retrouvai toute seule, peu rassurée.

— Dea ? Tu m'entends ? tentai-je en utilisant l'intercom que j'avais dissimulé dans le shynawil dont Ren m'avait affublé.

Silence. Je savais l'Elbereth juste à côté, mais bizarrement, quelque chose brouillait les communications.

Bon. Ren m'avait ordonné de l'attendre là, comme si j'étais sa subalterne... ce que j'étais, techniquement, étant son capitaine. Mais quelque part, ce constat me gênait. Ren était trop accoutumé à se faire obéir. Elbereth et Dea se soumettaient docilement au moindre de ces ordres, quitte à contrevenir aux miens. Même cet émissaire faisait la carpette devant lui. Et au lit, Ren devenait de plus en plus dominant.

Je sentis mes joues chauffer en me rappelant de son ton sûr de lui (« Tu ne sauras pas faire. Il faut apprendre ») lors de nos derniers ébats, sans savoir très bien si c'était de colère ou de désir. Jamais Ren ne se serait permis une telle sortie avec une femelle de son espèce, je le savais. Mais pour lui, j'étais une humaine vouée à obéir, et c'était probablement ainsi qu'il m'aimait.

Je ne vais pas rester là.

Tout seul, Ren n'allait pas avoir le temps d'explorer tout le vaisseau. Autant que j'accomplisse ma part de boulot et que je lui montre de quoi j'étais capable ! Qu'il me prenne un peu plus au sérieux. Il allait se souvenir que j'étais autre chose qu'une poule pondeuse !

Je jetai un coup d'œil à la coursive opposée à celle qu'avaient prise Ren et l'émissaire, celle qui plongeait dans les entrailles du vaisseau. Après avoir tenté une nouvelle fois de prévenir Dea, je m'y enfonçai sans une hésitation.


*


Les dimensions de ce vaisseau étaient cyclopéennes, plus encore que l'Elbereth. Les coursives, sombres et silencieuses, débouchèrent sur un dédale d'escaliers qui montaient et descendaient en tous sens, éclairés çà et là par des lueurs azur à la beauté envoûtante. Les rambardes et les tourelles formaient des cages délicates et nacrées, brillantes comme des concrétions constellées de mille diamants. Il y avait tant de possibilités que je restais indécise, ne sachant si je devais emprunter l'un ou l'autre des encadrements en ogive qui semblaient déboucher sur des chefs-d'œuvre architecturaux tous plus merveilleux les uns que les autres. C'est alors que l'une des petites lueurs bleues vint à moi. Je les avais prises pour un genre d'éclairage perpétuel, mais en constatant qu'elles bougeaient, je compris que c'était des eyslyns, les petites créatures ailées qui servaient de serviteurs sur les vaisseaux ældiens. Je suivis celle-là dans l'escalier où elle s'engouffra.

LA CHAIR ET LE MÉTAL (Ne me mords pas)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant