J'ai laissé Gerald descendre tout seul. Il est revenu de New Arkonna avec un corps flambant neuf, pour y stocker la personnalité de Luvine. Et maintenant, nous filons vers Altaïs.
La plume noire. Sous la lumière artificielle de la lampe sous ma couchette, elle montre des reflets bleutés. Avant de rencontrer Tamyan, je ne savais pas que le noir avait tant de nuances. Pailleté d'or et d'argent, comme les étoiles sur le fond sidéral. D'un brun chaud et rougi comme le sang qu'on trouve au plus profond du myocarde. Et d'un bleu acéré, presque violet, comme la nuit au crépuscule. Il y avait toutes ces couleurs dans la chevelure obsidienne de Tamyan, dans ses yeux abyssaux et sur ses ailes.
Dans son cœur aussi, peut-être.
Le sas chuinte, s'ouvrant sur Gerald.
— Tu l'as ? je lui demande en glissant la plume dans ma poche.
Il hoche la tête.
— Oui. On décolle.
Prochaine destination, Altaïs. Je ne sais pas pourquoi, mais y penser me fait peur. Est-ce la perspective de retrouver Tamyan ?
*
Je suis assise dans le cockpit du vaisseau, l'espace autour de nous est d'un noir profond, parsemé de points lumineux. Gerald pilote, ses mains fermes sur les commandes. Cela fait une bonne heure déjà que nous traversons une tempête éléctromagnétique. De temps à autre, les lumières vacillent, plongeant le cockpit dans le noir. Luvine est menottée à l'arrière, assise sur des caisses comme une poupée désarticulée. Lorsque Gerald a téléchargé sa conscience dans ce corps synthétique de premier prix, elle a ri comme une hystérique. Sa présence me met à l'aise. Il faut que je parle, que je rompe ce silence.
— Comment était Taros quand tu y étais ?
Gerald tourne lentement la tête vers moi, une lueur sombre dans ses yeux verts.
— Pourquoi ?
— On en a parlé tout à l'heure. Et Luvine...
Je coule un regard vers la hackeuse, toujours perdue dans son monde intérieur. Quand Gerald disait que son mental avait souffert des décennies d'isolation, il n'avait pas tort.
Il esquisse un rictus.
— Ça me fait penser que je ne t'ai toujours pas demandé comment tu étais courant, pour moi et Taros. Les informations me concernant sont classées secret défense. Aucun civil n'est censé savoir qu'un semi-ældien fait partie du SVGARD... ni que notre Ordre autorise des agents à garder un corps organique.
— Yolen me l'a dit, avoué-je. Elle sait tout de toi. Une vraie fan...
— Yolen... sourit-il. Je vois.
Il prend une profonde inspiration, comme si le souvenir le brûlait encore.
— Taros, répète-t-il. Tu connais la colonie ?
Je secoue la tête.
— C'est un lieu où il fait toujours nuit, où la pluie acide tombe comme une malédiction. Sur Taros, il n'y a pas de place pour les faibles. Les gangs rôdent dans les ruelles, attendant de dévorer ceux qui tombent ou trébuchent. Les enfants sont des proies particulièrement faciles.
Un pli amer alourdit sa bouche. Je devine qu'il ne parle pas seulement des victimes de Luvine, qui chantonne à l'arrière.
Une image de ce monde dévasté me frappe : des ruelles sombres, des éclats de lumière troublés par des gouttes de pluie corrosive, des cris étouffés par la nuit perpétuelle.
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LA CHAIR ET LE MÉTAL (Ne me mords pas)
Ciencia FicciónLa proie : "On l'appelle Obscur, incarnation vivante des ténèbres. Un cœur plus noir que la nuit elle-même. Cœur ? Ce monstre n'en a pas." Le chasseur : "Je l'appelle Faël, celle à la blanche chevelure. La proie la plus appétissante que je n'ai eu s...