19 |Je ne joue pas à cache cache, je fuis

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Amélia

Je suis exténuée, j'ai passé la journée à marcher et certainement à fuir la réalité. Je mets de côté mes problèmes et cette escale à Gibraltar m'a permis de me vider la tête.

Je me suis levée aux aurores après avoir toute la nuit préparé mon itinéraire. J'ai crapahuté quasiment non stop. A l'instant où je me suis retrouvée dans ce téléphérique face à ce magnifique panorama, j'ai foncé, j'en ai pris plein les yeux, photographié et filmé sans limite. Durant cette journée j'ai mis de côté mes soucis, me suis vidée la tête pour me sentir enfin toute "légère".

Mon plus grand souhait serait de garder cette légèreté en permanence dans la vie, rien de plus. Je ne rêve pas de luxe même si je m'en offre un, en voyageant sur ce bateau. C'est confortable et appréciable mais la tranquillité d'esprit jamais vécue jusqu'à présent s'avère encore plus enviable.

Hier soir, j'ai fui Jonathan, je devais être seule. Ce n'est pas dans mes habitudes de me confier autant. Je suis gênée qu'il connaisse cette partie de ma vie. Aujourd'hui je l'évite. Je ne conçois pas me retrouver face à lui ou à ses parents parfaits.

Je suis revenue à l'heure limite de la fermeture des portes du bateau. Encore un peu et je ne pouvais plus poursuivre la croisière. Première, sortie ce matin et dernière rentrée c'est ce que je voulais. Je ne rejoindrai pas Magalie ni son mari ce soir. Après avoir ŕeglé mon portable en mode avion, je lis une quantité de messages de menaces, d'injures d'un certain Franck, le dealer de ma mère que je ne connais que trop bien... Depuis le temps qu'il aimerait mettre la main sur moi... J'avais à peine douze ans qu'il tentait de m'offrir gratuitement de la drogue. J'ai refusé et j'ai de ce fait passé quasiment toute mon adolescence à le fuir m'entourant à la fois d'amis peu recommandables ou au contraire d'amis très influents pour le tenir à distance. Jusqu'à ce jour, cela a fonctionné, même s'il a failli me violer il y a quelques années, je m'en suis sortie in extremis, j'en ai encore la chair de poule...

Ce type est un véritable pervers, qui  abuse des femmes, ma mère en a fait plus d'une fois les frais. Je ne comprends même pas comment elle a pu subir toute cette violence pour alimenter sa consommation de dope.

Je barbotte dans le jacuzzi pour que mes muscles puissent se détendre après les efforts que je leur ai imposés. La tête remplie de soucis, je tente à nouveau d'échapper à la réalité mais difficile... Cette sensation de suffocation et de douleurs qui me collent à la peau, je n'en peux plus. J'ai besoin de me remplir, je lutte depuis que je suis rentrée pour ne pas acheter des cochonneries à bouffer. Au plus je résiste au plus j'ai envie de craquer, le cercle vicieux. Il y a des jours avec et des jours sans. Aujourd'hui c'est un jour sans. Je suis obsédée par la mal bouffe, autant besoin de me faire mal que d'être soulagée, je ne supporte plus toute cette contradiction.

J'ai beau tenter de montrer en permanence une joie de vivre que je ne ressens jamais, rien n'y fait. Où est donc passée cette fichue loi d'attraction dont tous les spécialiste du développement personnel parlent. Je tente tout ce que je peux pour m'en sortir émotionnellement mais il y a des jours comme aujourd'hui où je n'y arrive pas : ni pleure, ni plainte, j'encaisse de jour en jour, en essayant de sortir la tête de l'eau.

J'ouvre mon appli TikTok pour poster un brouillon préparé tout à l'heure à la hâte. Mon souffle se coupe lorsque je me rends compte de Jo Kill, s'est abonné à mon compte. Wahouuu. Première bonne nouvelle de la journée. Lorsque je trie mes notifications je découvre qu'il a répondu à mon commentaire hier. Le rythme de mon cœur accélère, mes mains tremblent. Je n'en reviens pas. Je suis fan de son travail depuis tellement de temps jamais je n'aurai espéré qu'il me photographie et encore moins qu'il me réponde ou s'abonne à mon compte.

« Merci pour ton commentaire, lorsque je t'ai photographiée tu me rappelais quelqu'un, grâce à ton message je me suis rappelé où je t'avais déjà croisé. Maintenant je suis abonné à ton compte, promis la prochaine fois que l'on se croise, je t'aborderai.

Je lis et relis ce message envoyé en privé, c'est un truc de fou. Ce type ne se démasque jamais, il est une énigme et là il me reconnaît et est prêt à me rencontrer si un jour on se croise de nouveau. J'ai envie de lui poser des tas de questions mais je ne sais pas par où commencer. Je suis même incapable de répondre à son message. C'est le genre de bonne humeur qui  met du baume au cœur. Je voulais démarrer un live mais sur le bateau la connexion est instable malgré la ligne satellite.

Demain direction Lisbonne où je dois rencontrer une personne importante.

- Tu m'évites c'est ça.

Cette voix qui arrive à m'apaiser rien qu'à l'entendre. Depuis hier je suis bouleversée par cet homme, je ne peux me le permettre.

- Oui !

- Cool ! Moi aussi.

- Qu'est-ce que tu fais ici du coup ?

- J'ai décidé de t'affronter. Même si ça me met mal à l'aise.

Je souffle d'inconfort. J'aime être franche mais je rencontre rarement une personne qui agit de la même façon. Ce n'est pas très logique mais ça n'est rien. Je suis bourrée de contradiction.

- Super ! Tu tombes à pic !

Jonathan se marre.

- J'aime ta bonne humeur.

- Tant mieux c'est offert par la maison.

- Je peux squatter le jacuzzi sans que tu fuis. Promis  on ne parlera de rien de trop personnel.

- Ok.

- Tu as l'air épuisé tu as crapahuté toute la journée c'est ça ?

- Oui...  pour me défouler.

- Mmmm.

- Et toi ? Es-tu sorti aujourd'hui ?

- Oui, j'étais avec mes parents. Nous avons longuement discuté comme tu me l'as conseillé hier.

Je me tourne vers Jonathan.

- Attention ça va devenir trop personnel.

Mon ton est sec. Je n'entre pas dans le jeu des confidences pour ce soir. J'ai encore l'intention de fuir loin de tout.

Nos âmes torturées Où les histoires vivent. Découvrez maintenant