24 - Conflits intérieurs et extérieurs

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Amélia

Je suis montée sur le bateau tel un automate, heureusement Jonathan était à mes côtés en soutien. J'ai passé trois heures avec Christophe, trois heures à se poser réciproquement des questions. Au plus nous échangions, au plus je cherchais des ressemblances physiques entre nous, le même nez, le même sourire, les yeux quasiment identiques aux miens, j'aurai dû m'en rendre compte bien plus tôt, j'ai en mémoire les photos d'enfance que Jeanine me montrait, pourquoi n'ai-je pas percuté plus tôt ?

Il faut avouer que je n'ai jamais cherché à en connaître davantage sur mon père. Je me disais que s'il était pire que ma mère ce serait une catastrophe. J'étais terrorisée d'en apprendre plus sur mes origines et j'avais bien trop de problèmes à gérer de toute manière. J'ai tenté d'en apprendre plus sur lui, qui il était,  sa vie mais le temps a filé à toute allure...

J'avais le choix : rester avec lui ou rater le bateau. J'ai préféré reprendre le cours de mon voyage, toute cette histoire est bien trop stressante pour moi. Il m'a questionnée sur ma mère, mon enfance j'ai eu honte et en même temps j'étais en colère. Pourquoi faire de ma naissance un secret de famille ? Comment Jeanine a t-elle pu accepter ça ? Protéger son fils ? Et moi alors ? Douloureux de remarquer que je comptais moins que mon père à ses yeux.

Jonathan s'est permis d'expliquer ma situation actuelle, j'ai cru que mon « père », (j'ai toujours des difficultés avec ce mot), allait exploser. Je fus encore plus surprise de découvrir qu'il connaissait très bien l'entourage de maman, il avait des liens avec eux. J'ai dû mal à comprendre, j'ai voulu lui poser davantage de questions sur ce sujet mais je me suis retenue par peur. J'aimerai que tout soit idyllique mais mon expérience a prouvé que la vie n'était pas un long fleuve tranquille.

Avoir un père peut être une bonne nouvelle ou une nouvelle source d'ennui. Avec ma chance habituelle je préfère être sur la réserve. Découvrir un membre de sa famille en plein milieu d'un voyage qui se voulait reposant, n'était pas dans mes projets. Je ne sais pas comment réagir. Nous avons échangé nos numéros de téléphone avec une promesse : celle de nous contacter régulièrement pour apprendre à nous connaître. Est-ce si simple de se lier à quelqu'un que l'on n'a jamais connu. Lui, se retrouve avec une fille de vingt-deux ans dont il ignorait l'existence. Il doit avoir sa famille. J'ai l'impression d'entrer dans sa vie comme un cheveux dans la soupe. Ça me met mal à l'aise.

Une simple lettre bouscule nos vies. J'ai la migraine, je me sens complètement à côté de mes pompes. Magalie tente de me parler mais c'est trop. Je m'enferme dans la chambre,  et après une bonne douche, je me mets lit. Au lieu de dormir, je cogite, je me remémore une multitude de fois la journée d'aujourd'hui. Christophe, mon père que j'ai détaillé : grand, élancé, athlétique, est un véritable canon de beauté, contrairement à moi qui n'ai rien de transcendant. J'ai toujours trouvé que je ne ressemblais pas du tout à ma mère et pour cause, je tiens davantage de mon père. Sylvia ne m'en a jamais parlé, pas un mot sur lui, même pas une allusion, rien. Je n'ai jamais posé de questions, vu que le sujet était tabou. Je me suis fait une raison, celle de ne pas avoir de père. C'était plus simple d'être dans l'évitement.

Aujourd'hui la réalité me rattrape et je ne sais pas comment réagir.

Comme un fait exprès ou un coup du sort mon téléphone sonne avec le prénom de ma mère qui s'allume. Je ne cherche pas à comprendre je décroche.

- Ah ! Enfin ! Qu'est-ce qui te prend de ne pas rappeler alors que j'ai besoin de toi.

Je souffle, je refuse de l'entendre jacasser sur l'argent.

- Christophe Ribaux.

Voilà, j'ai balancé l'identité de mon père, maintenant j'attends. Pour une fois, réponse silencieuse.

- Tu as besoin que je répète ce nom ? Ou tu vas m'en dire plus ?

Ma mère s'agite derrière son téléphone. J'entends des bruits de pas, sa respiration, une porte qui claque. Elle n'est certainement pas seule encore à zoner avec ses amis.

- Comment connais-tu ce nom ?

Ah là voilà la Sylvia agressive, qui n'aime pas quand son petit monde ne tourne pas comme elle le souhaite.

- Je l'ai rencontré tout à l'heure.

Ma mère éclate d'un rire cynique.

- Impossible.

- Pourquoi ? Il n'est pas mort, je viens de passer plusieurs heures avec lui.

- Arrête de raconter n'importe quoi. Il est parti il y a bien longtemps.

- Effectivement il vit à l'étranger. Comme je suis en voyage je l'ai rencontré. Jeanine m'a transmis une lettre à lui confier en main propre.

Maman s'énerve. Je l'imagine tirer sur sa clope comme une dingue.

- Et alors ? Il va te reconnaître à vingt deux ans. A quoi t'attends-tu ? Il n'a jamais été présent dans ta vie et tu crois qu'en un claquement de doigts il va apparaître tel un preux chevalier voulant sauver sa soit-disant fille. Qui te dis que tu es sa fille d'ailleurs ?

Je reste de marbre. J'ai pris l'habitude de masquer mes émotions avec ma mère. Pleurer, hurler ne sert à rien avec cette femme.

- Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. La ressemblance entre lui et moi est évidente. Tu as dû t'en douter.

En bruit de fond j'entends une personne hurler derrière ma mère.

- Quoi ? Je parle avec ma fille.

- C'est quoi ce bordel Sylvia ?

- De quoi parles tu ?

- Tu sais qui j'ai eu au téléphone ?

- Non ! Comment pourrai-je le savoir.

- Christophe ! Tu te rappelles de lui n'est-ce pas ?

Moi je souris, Christophe a tenu sa promesse. Ma mère perd ses moyens,  bégaye et peine à trouver ses mots.

- C'est le père de ta fille ?

Maman ne répond pas.

- Mais bordel tu aurais dû me prévenir.

- Pourquoi ? Ma mère feint l'innocence comme à chaque fois qu'elle manipule ou qu'elle ment.

- Tu me demandes pourquoi ? Tu sais qui est ce type ? Il vient de me menacer. Passe moi ta fille.

J'entends une bousculade, ma mère a reçu une gifle d'après le son.

- Petite salope, tu as cafté à ton papa que je te menaçais.

- Et ?

- Tu joues la grande maintenant. Attends que je te chope.

- Penses-tu que mon père te laissera agir. D'après ce que j'ai compris en t'entendant parler tu n'es pas très à l'aise face à lui. Je me trompe ?

- Tu ne sais rien de rien. Lorsque je t'aurai trouvée tu comprendras.

- Nous verrons bien. Mon père appréciera certainement cette ultime menace. Qu'en penses-tu ?

- T'inquiète petite garce. Il ne va pas tenir bien longtemps ce rôle de papa. C'est tout nouveau pour lui quand il réalisera qui tu es il t'abandonnera.

- Il paraît que l'espoir fait vivre.

- Rassure toi. Bientôt tu travailleras pour moi.

- J'attends ce jour arriver. J'ai plus l'impression que tu finiras par disparaître avant que tu ne mettes la main sur moi.

- Tu ne sais pas qui est ton père. Lorsque tu le découvriras tu réclameras ma protection.

- Tu t'es crue chef de gang ou quoi ? Redescends sur terre. Nous ne sommes pas du même monde toi et moi.

- Ohhhhh ma jolie, tu viens bien de mon monde ne te méprends pas. Tu reviendras en quatrième vitesse vers nous.

- Tu m'ennuies sérieusement.

Je lui raccroche au nez,  cette conversation ne mènera jamais nulle part. Autant arrêter...

Nos âmes torturées Où les histoires vivent. Découvrez maintenant