31 | Pour le super héros on repassera

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Jonathan

La pression légère de ses doigts : ma bouée de sauvetage,  hors de question que je lâche. J'ai été surpris lorsqu'Amélia saisisse ma main. Son geste n'est ni bizarre, ni déplacé, ni intrusif, bien au contraire, c'est un réel signe de soutien instinctif et c'est la première personne en-dehors de mes proches à avoir cette attitude lors de mes crises.

J'ai résisté autant que j'ai pu, sans attirer l'attention d'Amélia. Je l'oblige à manger et je suis incapable de l'accompagner. J'aurai dû penser plus tôt, que la non escale et le mauvais temps rempliraient les couloirs du bateau, sans compter le tanguage important d'aujourd'hui.

Amélia ajoute une pression de la main à chaque fois qu'il y a davantage de personnes, comme si elle prononçait « t'inquiète tu n'es pas seul ». Elle me pousse légèrement vers l'avant. J'avoue que je ne vois plus grand chose, ma vue est  trouble. Ma respiration s'est accélérée. Amélia avance plus rapidement me traînant quasiment derrière elle. Rapidement je suis dans un petit salon à l'abri de la foule et du bruit.

- Restons là quelques instants. Le temps que tu souffles un peu.

Je ne réponds pas, j'en suis incapable. J'endigue comme je peux ma crise. Je n'ai pris aucun médicament comme un con. Amélia approche de moi et me caresse délicatement le dos, ce toucher m'apaise quasiment instantanément.

- Comment fais-tu ? 

- De quoi parles-tu ?

- Comment réussis-tu à me calmer ?

Amélia sourit calmement. Sa tendresse, m'émeut un peu trop. Je n'y suis pas habitué, seules ma sœur et ma mère savent faire.

- Je suis ravie d'y arriver surtout. C'est un signe de confiance de ta part. De toute façon rien nous presse. Donc prenons le temps dont tu as besoin.

- Merci.

- Ne me remercie pas, c'est normal. Depuis que je suis à bord de ce paquebot, c'est toujours toi qui me viens en aide. Pour une fois ça change.

- C'est pour cette raison que je ne veux personne dans ma vie.

Amélia, fronce les sourcils.

- Du grand n'importe quoi. Tu n'es pas addicte à l'alcool ni à la drogue, tu n'es pas violent, alors il n'y a aucune raison pour que tu restes seul. Tu as un problème de santé, c'est tout, de plus je suis certaine que tu sauras reprendre le dessus un jour ou l'autre. En attendant, ne pense à rien d'autre qu'à récupérer. Ne t'en rajoute pas. Ça te cause plus de mal que de bien.

Elle a raison. Mais je ne lui dirai jamais. Ma fierté en serait trop ébranlée.

- Ça va aller, pas besoin de jouer les infirmières.

Amélia se fâche un peu.

- Je ne joue pas à l'infirmière. Arrête de dire n'importe quoi. Je ne vais pas te hurler dessus ça ne servirait à rien. Je comprends que tu sois agressif et que tu te sentes vulnérable, alors je passe au dessus mais je te préviens, je ne veux plus entendre ce genre de phrase de ta part. Moi aussi j'ai un égo qui n'aime pas être secoué.

- Mais toi tu es « normale ».

Amélia éclate de rire.

- Personne n'est « normal » Jonathan et je le suis encore moins. Lorsque je m'attache à quelqu'un, je m'y agrippe de toutes mes forces, je suis possessive, jalouse et je réclame une attention qui est pesante. Une relation avec moi est étouffante. Alors non ! Je ne suis pas « normale ». Loin de là. Tu ne t'imagines pas ce que ça représente de m'avoir sur le dos.

À l'entendre, j'aimerai bien expérimenter pour vérifier si ce qu'elle dit est vrai. Je suis complètement cinglé. C'est une évidence je n'ai pas toutes mes petites cellules grises à leur place.

-  Je te fais peur maintenant.

J'aime son ironie.

- La bonne blague. Désolé mais tu ne me fais pas peur.

- Tu devrais pourtant.

- Nous voilà tous les deux prévenus.

Mon ventre se rappelle à moi en criant un besoin vitale de se nourrir

- Tu as vraiment faim ?

- Pourquoi je mentirai ?

Amélia baisse les yeux soudainement. Je n'aime pas la voir ainsi.

- Pour me forcer à manger.

- Amélia je ne te force pas à manger, mais à suivre le rythme alimentaire de quelqu'un qui n'a pas de trouble. Après tu gères comme tu le peux. Ce n'est pas moi qui vais te reprocher quoi que ce soit, ni jugement, ni remarque. Sérieusement par rapport à moi tu ne manges rien, sauf que j'ai besoin de me nourrir je suis un ogre. Demande à ma mère, elle m'a cuisiné de trop bons petits plats.

- La chance !

- Si tu es sage et que tu traines du côté de Toulon, il se pourrait que je te prépare un repas.

Amélia toussote.

- Quoi ?

- Tu te rappelles, je pars au Portugal !

- Oui.

- En fait j'ai mon avion deux jours après notre retour et ta mère m'a invitée à séjourner chez vous.

Ai-je besoin de remercier ma mère,  la meilleure du monde, bien entendu, je dois sourire jusqu'aux oreilles. Merci maman d'exister.

- Mon père m'a conseillée de m'éloigner de Lille quelques temps pour épurer mon environnement, ce sont ses propres mots.

- Que fait ton père au fait ?

- Je n'en sais rien et quand je l'entends parler, je ne suis pas trop rassurée. Je ne demanderai pas à ton père de vérifier, j'aurai trop peur qu'il soit  parrain de la pègre.

- À ce point ?

- Oui. Il a menacé le dealer de ma mère et a précisé qu'il enverrait du renfort pour lui rappeler qu'il ne faut pas me toucher.

- Quand même.

Suis-je jaloux ? Oui ! J'aurai aimé être son sauveur mais je ne suis pas un super héros ou un gros méchant. Je ne pourrai jamais menacer des dealers. Je ne suis pas à la hauteur. Mes seuls talents sont la photographie et un peu de cuisine. Rien d'autre. J'aurai dû m'inscrire aux arts martiaux ou entrer dans les forces de l'ordre quand mon père me l'a proposé, mais c'est trop éloigné de qui je suis. Je n'y survivrai pas, chacun sa place et son métier.

- Mon père ne rigole pas, je ne sais pas qui il est et ça me fout la trouille.

Je peux comprendre, pour moi c'est plus simple mon père représente les gentils de l'histoire.

Nos âmes torturées Où les histoires vivent. Découvrez maintenant