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ALMA

Londres, quartier Soho. 21 mars, 12 h 55.

«Adieu, ma chère Marguerite; je ne suis ni assez riche pour vous aimer comme je le voudrais, ni assez pauvre pour vous aimer comme vous le voudriez. Oublions donc, vous, un nom qui doit vous être à peu près indifférent, moi, un bonheur qui me devient impossible...»

J'ai beau avoir lu des dizaines de fois ce livre, l'effet que me procure les mots d'Armand à Marguerite me font toujours autant d'effet.

Je repose cet ouvrage de Dumas dans l'immense bibliothèque qui se dresse devant moi, dans la rangée des D, ainsi que d'autres oeuvres, dont le nom des auteurs commencent tous par la même lettre. Je pousse le chariot désormais vide et le dépose dans la réserve. Les lieux sont assez peu fréquentés à cette heure de la journée.

Cela fait exactement deux mois que je travaille dans cette sublime librairie dans le coeur de Londres. Mes débuts dans cet endroit ont été difficiles. Les premiers jours, je n'entendais même pas mes supérieurs m'interpeller : Miss Jones ! Miss Jones ! Il faut dire que j'ai eu beaucoup mal à m'identifier à ce nouveau nom. J'ai fini par leur demander de m'appeler simplement par mon prénom. C'était certes plus familier, mais plus simple pour moi. Je fus embauchée dans cet établissement sur simple courrier et sans entretien d'embauche. Un arrangement que je dois à André. Un nouveau job, une nouvelle vie.

Les jours qui ont suivi l'explosion au cirque Maximus restent assez flous dans mon esprit. Mais la douleur est encore présente dans mon coeur. Je me souviens uniquement des mots d'André : Je suis désolé Alma... n'avons retrouvé qu'un corps... sérieusement abimé... s'agit de celui de Sandro. Mon coeur s'est brisé, la douleur s'est emparée de mon être et je n'ai pu pendant quelques jours me résoudre à accepter la vérité. Sandro n'était plus de ce monde. Je ne verrai plus jamais son corps, n'entendrai plus sa voix me dire à quel point il m'aime, je ne pourrai plus jamais poser mes lèvres sur les siennes et frémir sous ses caresses. Je m'en voulais terriblement. L'idée même que son amour pour moi avait pu causer sa perte, m'infligeait un profond dégout de moi-même. Une équipe de thérapeute de Verme m'a aidée les jours qui ont suivis, à me sortir ces idées de la tête et à affronter ma douleur.

Sandro avait laissé une demande de protection pour moi, si jamais il lui arrivait quelque chose. Il avait demandé à ce que l'on me cache à Londres et que je serais sûrement la plus heureuse si on pouvait me trouver un job dans une librairie. J'ai d'abord protesté auprès d'André, je voulais retourner à Lisbonne, reprendre ma vie, mais c'était impossible. Tant que Marco serait vivant, il resterait un danger pour moi et je ne serais pas en sécurité à Lisbonne. André m'assura qu'il ferait tout ce qu'il pourrait pour essayer de trouver ce fumier.

Je dus écrire à mes proches, une lettre assez étrange à mon goût, leur indiquant que je prolongeais mon voyage par un tour du monde pendant quelque temps avec mon amoureux et que je ne leur donnerais des nouvelles qu'occasionnellement et uniquement par courrier. Je ne sais pas si ça les a convaincus mais je ne pouvais pas prendre le risque que Marco puisse se servir d'eux pour m'atteindre. Je devais disparaitre. Me voici donc, Alma Jones, libraire stagiaire dans le coeur d'une ville que je rêvais de découvrir avec lui.

— Hey Alma, ça te dit qu'on aille déjeuner ?

Amber est une de mes collègues. Elle travaille ici depuis plus d'un an à temps partiel. D'un style assez gothique, elle est d'une telle douceur et a fait preuve de beaucoup de sympathie pour moi lorsque je suis arrivée. Je n'ai pourtant pas été très ouverte et très souriante les premières semaines, mais l'évocation d'un drame personnel lui a fait compatir à mon état, à mes débuts ici.

Couldn't forget youOù les histoires vivent. Découvrez maintenant