Chapitre 3

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L'escalier principal en marbre de carrare blanc ne m'a jamais paru si long à monter. Comme si, chaque marche était un souvenir douloureux de cette fameuse après midi où j'ai pris la décision de fuir.

Un rappel constant de ce qu'aurait pu être ma vie si... j'arrive sur le palier, mon regard est attiré par la porte de gauche. Celle de mon frère. Celle de la trahison. Elle est close. Je soupire et continue mon chemin en longeant le couloir de quelques mètres et me poste devant la mienne. Du côté droit. Celle de mon enfance. Celle de mon adolescence. Celle de tous mes rêves. Chimériques.

Je prends une grande inspiration et ouvre le battant. L'odeur de cire mélangée à celle florale du bouquet de fleurs fraîchement coupées me renvoie des années en arrière. Je franchis le seuil, la luminosité de cette fin d'après-midi m'enveloppe d'une douce torpeur. Rien n'a bougé, tout est resté en place, la pagaille sur mon bureau est intacte, le cadre retourné sur ma table de nuit n'a pas été redressé, et c'est tant mieux, les livres sur mes étagères, les classiques de la littérature anglaise, côtoient les livres de modes, et ma collection des éditions Assouline. Mon bagage est posé sur la malle au pied de mon lit, dur rappel de la cause de mon séjour ici. Avant que la nostalgie ne me paralyse, j'anticipe et décide de ranger les vêtements dans le dressing. Mon esprit doit être occupé à ne surtout pas penser à ce qui va suivre.

Je fais coulisser la porte, des vêtements et accessoires que je ne n'ai pas pris en partant sont rangés dans des housses transparentes, certainement la volonté de Charlotte exécutée par William son major d'homme. Cette tâche ne me prend pas longtemps. Mon regard se lève sur une étagère en particulier. Je sais ce que je vais trouver dessus. Mes mains vivant leur propre vie se saisissent de l'un des anciens coffrets à parfum transformés en boîte à carnets. Carnets à dessins, à inspirations, carnets d'esquisses, de rêves et plus tard de désillusions... mais celles-là sont croquées sur des cahiers restés à Londres.

Je m'assois au milieu de la chambre, j'ouvre le couvercle et renverse le contenu sur le parquet ciré. Une dizaine de calepins s'étalent autour de moi, je me souviens de ce qu'ils contiennent tous, dont un plus particulièrement qui brûle mes rétines, je m'apprête à m'en emparer quand, un coup discret frappé contre le bois me fait relever la tête.

Sauvée par le gong.

— Entre.

Le joli visage de Rose apparaît dans l'entrebâillement et ses yeux s'écarquillent en voyant l'étalage de carnets éparpillés autour de moi.

— Et ben ! fait-elle en entrant et en fermant la porte silencieusement, tu as l'intention d'invoquer les esprits en faisant une danse de la pluie.

Je souris en me mettant debout.

— Si j'étais sûre que cela fonctionne pour ramener mon grand-père.

Je m'abstiens d'ajouter : et de garder éloignés mon frère et son pote.

— Charlotte m'envoie te chercher ma puce, précise-t-elle en se saisissant d'un de mes souvenirs en papier, prête à le feuilleter.

— Déjà ! mais quelle heure est-il ?

Je le lui prends des mains, refusant qu'elle regarde celui-ci en particulier. Elle paraît surprise de mon geste, mais elle comprend au moment où l'une des pages s'ouvre sur l'esquisse au fusain d'un corps d'homme. Nos regards se rencontrent.

— L'heure d'être forte, ma chérie.

Rose me tend une main que j'accepte. Fébrile, je la suis sans un mot remontant le couloir en sens inverse. Nouveau coup d'œil à droite cette fois-ci, mais le battant est resté clos.

Mi AmoreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant