Chapitre 40

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Je bois ma pinte de bière en une traite sous le regard inquiet d'Azarel. Je ne sais même plus à mon combientième je suis, mon cerveau a arrêté de compter au bout de la quatrième gorgée.

-Mercedes...

-Dis rien, dis-je en posant un peu trop brusquement mon verre, la langue sèche et un débit de parole lent. Ou non, dis quelque chose. Mais ne dis pas que je suis bourré.

-Tu l'es.

-Non ! Je suis juste bien, affirmé-je avec un hoquet. Ça n'a absolument rien à voir avec un état d'ébriété.

-À quel moment les choses ont dégénéré comme ça, mon Dieu...

J'hoquète à nouveau en souriant d'un air idiot pendant que je renverse une dernière bouteille de bière dans mon grand verre. Azarel continue de me regarder avec une mine désespérée.

-À défaut d'avoir son père qui te traite comme un malpropre, il y a l'alcool qui me réconforte et ça je trouve chouette. D''ailleurs, je t'ai dit à quel point j'étais reconnaissant de vous avoir dans ma vie ?

Il me regarde avec de grands yeux tandis que sa main reste autour de sa bouteille de bière. Je ne suis pas du genre sentimental, les déclarations ne sont pas mon truc. Il m'est arrivé de complimenter des femmes lorsque je voulais des choses gratuitement car je voyais bien qu'elles étaient sous le charme mais c'était tout, je n'étais même pas sincère. Et là, ça "vient du cœur" si je peux dire ça.

-C'est vrai quoi, continué-je après une grande gorgée. J'ai toujours été seul durant la Primaria puis la Secundaria, les gens me fuyaient comme la peste. Ma seule amie était Aurel et encore ! Elle, elle faisait partie des populaires de l'école, tout le monde souhaitait être pote avec Aureliya Castellani tandis que moi...j'étais un fantôme.

-Elle t'a laissé tomber ?

-Non. Elle ne l'a jamais fait. Malgré sa popularité, elle mangeait tous les midis avec moi, se mettait avec moi dans les travaux de groupe ou au sport ou traînait avec moi pendant nos heures creuses. Elle rompait tout lien avec les gens qui me critiquaient, quitte à ne plus avoir de groupe de potes. Nous n'avons pas eu la meilleure des relations frère-sœur quand nous étions petits car j'avais un sale caractère et ça me faisait plaisir de la faire pleurer mais au fur et à mesure que je grandissais, je me rendais compte en fait de la chance que j'avais d'avoir une sœur comme elle.

Un autre hoquet me saisit.

-Et c'est pour cette raison que je croyais que j'allais rester ce fantôme toute ma vie car au bout d'un moment, Aurel aurait pris son envol et je n'allais pas continuer à traîner avec elle. Je m'étais déjà fait à cette idée jusqu'à ce que je vous rencontre de façon inattendue et puis avec le temps, vous avez fini par prendre une place importante dans ma vie, chacun.

Azarel s'esclaffe puis prend finalement une gorgée de sa bouteille de bière encore pleine.

-Tu connais la théorie du fil rouge du destin ?

-C'est quoi ce truc ?

-Eh bien... c'est une légende chinoise selon laquelle, dès notre naissance, nous avons un fil rouge invisible attaché à notre petit doigt qui nous lie à d'autres personnes dans le monde. Ces dernières peuvent être dans le pays que nous vivons ou non car elles peuvent même être en Afrique alors que nous sommes en Amérique si tu veux un exemple ! Et en fonction de la distance, ce fil rouge peut être linéaire, elle peut s'étirer, voire s'entremêler mais elle ne se rompra jamais car nous finirons par rencontrer ces personnes un jour ou l'autre, c'est notre destin.

Je le regarde avec incrédulité à la fin de son explication. Ça peut être plausible mais je trouve que l'existence du fil rouge dans cette théorie est assez loufoque car nous ne pourrons jamais rencontrés toutes ces personnes, peut-être certains mais pas tous. De plus, cette théorie engendre une certaine forme de paresse puisque certaines personnes ne feront aucun effort au niveau des interactions sociales sous prétexte qu'elles sont prédestinées à rencontrer d'autres.

𝐓𝐈𝐌𝐄𝐋𝐈𝐍𝐄.𝐓𝟐.𝟓Où les histoires vivent. Découvrez maintenant