Chapitre 43 - Laël

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« Merci » c'est l'unique mot qu'elle m'a répondu par message. Merci de l'avoir embrassée ? Merci de lui laisser du temps ? Merci de l'aider ? Je ne sais pas vraiment... Est-ce que j'ai été trop entreprenant ? Trop passionné ? Est-ce que je lui ai fait peur ? Ce n'est jamais simple de savoir si ce qu'on fait est juste mais j'ai agi spontanément et ça m'a fait du bien d'être proche d'elle, de la toucher et de l'embrasser. Je sais que je lui laisserai le temps qu'il faut, le temps qu'elle aille mieux, le temps qu'elle se sente prête.

Je secoue la tête et essaye de reprendre mes esprits lorsque je sors de mon bureau pour rejoindre mon collègue. Aaron a apparemment été retrouvé ivre dans un bar en train de tabasser quelqu'un. Merde, qu'est-ce qu'il lui prend ?

Mon frère n'a jamais été un tendre mais il ne s'est jamais donné en spectacle de la sorte. Je ne sais pas ce qu'il lui arrive en ce moment mais j'ai l'impression qu'il pète un plomb. Je me dirige vers la cellule de dégrisement pour m'entretenir avec lui. Loin de moi l'envie d'avoir une profonde discussion avec Aaron mais je veux comprendre ce qu'il se passe. On n'a jamais réussi à communiquer lui et moi hormis en se bagarrant. Lorsque je me présente devant les barreaux de la cellule, Aaron est assis sur le matelas fin qui fait office de lit, la tête baissée entre ses mains, les cheveux en bataille, les vêtements froissés et tachetés de sang. Il marmonne seul des mots incompréhensibles et je m'éclaircis la gorge pour l'avertir de ma présence.

– Putain il manquait plus que toi ! s'exclame-t-il en sortant de sa torpeur et en levant la tête.

Je croise mes bras et m'approche des barreaux qui nous séparent.

– Aaron, c'est quoi ce bordel ? À quoi tu joues ?

Il ricane et se lève en vacillant pour s'avancer vers moi.

– Attends, c'est vraiment toi qui va me faire la morale ? Alors que tu m'as frappé le soir du nouvel an en plein service ? Je devrais d'ailleurs le signaler à tes supérieurs...

Je secoue la tête en soupirant fortement.

– C'est pas le sujet là ! Je pensais que ça t'aurais remis les idées en place mais à croire que non. Qu'est-ce que tu fous ?

Aaron éclate de rire et accroche ses mains aux barreaux de la cellule.

– Je fais la même chose que toi...

Je fronce les sourcils.

– C'est-à-dire ?

– Je défends quelqu'un.

– Quelqu'un ?

Aaron pince ses lèvres et se frotte la nuque.

– Neva...

Mes bras se resserrent contre moi et ma mâchoire se crispe.

– Qu'est-ce que Neva vient faire là-dedans ? Laisse-la en dehors de tes conneries, Aaron.

Aaron marmonne un « putain » puis s'éloigne et va se rassoir sur le matelas, un genou replié contre lui et la tête appuyé en arrière contre le mur.

– Va te faire foutre, Laël. Laisse-moi sortir de cette cage de merde.

– Tu sortiras quand tu ne seras plus un danger pour les autres et pour toi-même.

– T'as oublié que j'étais avocat ? Je sais que tu ne peux pas me garder plus de douze heures ici...

– C'est vrai mais t'as de la chance que le mec que t'as amoché ne porte pas plainte contre toi.

Aaron rit de nouveau.

– Encore heureux qu'il ne porte pas plainte, je serais prêt à lui refaire le portrait s'il le fallait.

Je pince mes lèvres et décroise mes bras.

– Aaron, je sais que depuis qu'on est petits, ça n'a jamais été simple entre nous, avec papa qui nous comparait constamment et nos caractères qui ne s'accordent définitivement pas. Mais peut-être qu'avec le temps, on devrait essayer de se supporter un minimum ? Ne serait-ce que pour Elisa ? Tu sais qu'elle souffre de cette situation.

Aaron se redresse en se frottant la mâchoire.

– Ne commence pas à faire le sentimental... tu ne sais pas ce que j'ai enduré. Je ne vais pas faire semblant de m'entendre avec toi.

– Ce que t'as enduré ? Et moi ce que j'ai enduré ? dis-je nerveusement en relevant mon t-shirt. Tu vois cette cicatrice ? Quand j'avais 14 ans, j'ai cru que j'allais crever mais on m'a retiré un rein pour me sauver. Et tu me parles de ce que toi t'as enduré ?

Aaron se lève brusquement et se rapproche de moi. Son regard est sombre.

– Toi t'es tombé malade et maman t'as protégé comme un oisillon tombé du nid. Et moi, j'ai eu le droit à quoi ? Que dalle ! Des miettes ! J'avais la pression de réussir mes études, de reprendre les affaires de la famille, d'être l'enfant parfait parce que je suis l'aîné. Et je devais fermer ma gueule et surtout ne jamais me plaindre parce que toi tu es tombé malade et ce que je pouvais ressentir ne pouvait jamais être pire que ce que t'avais !

– Putain Aaron ! Tu vas me reprocher d'avoir eu une tumeur ? D'avoir eu besoin d'attention ? Je peux rien y faire si tu t'es jamais rebellé contre papa et si t'as suivi tout ce qu'il te disait à la lettre !

Aaron se recule et attrape le matelas puis le balance violemment contre le mur.

– Dégage ! crie-t-il.

Je demeure immobile à l'observer faire les cents pas dans la cellule.

– Les relations entre papa et maman étaient compliquées et je sais que toi comme moi on a souffert de leurs disputes récurrentes même s'ils ont essayé de recoller les morceaux en faisant un troisième enfant... Je crois que tu devrais te faire aider, Aaron...

– Me faire aider ? C'est toi qui devrait te faire aider ! Tu as toujours été jaloux de moi ! Tu as toujours voulu ce que j'avais ! Et maintenant, demande-toi pourquoi tu veux Neva ? Peut-être parce que je la veux aussi !

– Peut-être que j'ai été jaloux de toi quand papa te donnait plus d'attention qu'à moi mais je n'ai jamais voulu être toi ! Et arrête de mêler Neva à nos histoires familiales...

– Pourquoi ? Tu ne trouves pas que cette situation est la continuité de tout ce qui a toujours été ? De notre rivalité ? On n'a jamais été intéressé par les mêmes filles et là Neva apparait...

– Oui sauf que Neva ne veut pas de toi, arrête de forcer, Aaron.

– C'est pas ce que je constate quand elle pose les yeux sur moi...

Mes muscles se crispent et j'essaye de respirer calmement. Je ne veux pas rentrer dans son jeu.

– Elle te regarde peut-être mais moi elle m'embrasse.

Aaron ouvre la bouche pour répliquer mais demeure muet. Ses yeux se détournent de moi, son dos se plaque contre le mur et il se laisse tomber au sol.

– Dégage Laël ! Dégage ! crie-t-il la voix éraillée.

Je m'éloigne de la cellule puis me dirige vers mon bureau. Je ne voulais pas répondre à ses provocations mais Aaron a le don de me pousser à bout. Je souhaitais garder pour moi ce moment que j'avais vécu avec Neva mais au moins, il comprendra qu'il n'a plus aucune chance avec elle. Il est temps qu'il la laisse tranquille.

Quand le coeur balance...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant