Quand le coeur balance...

Chapitre 55 - Aaron

Je remonte du doigt mes lunettes de soleil encore posées sur mon nez, alors que la nuit va bientôt tomber. Les teintes dorées et ambrées du crépuscule traverse le pare-brise de ma voiture, la musique à fond, je roule jusqu’à la maison de campagne des parents de Liam. J’ai passé beaucoup de temps là-bas depuis mes dix-huit ans. J’y allais tous les week-ends lorsque ça devenait irrespirable à la maison. Entre les disputes de mes parents et les attentes de mon père envers moi qui m’ont angoissées depuis toujours. C’était le moyen de m’évader un peu surtout que j’apprécie énormément ses parents. Je n’aurais malheureusement pas l’occasion de les voir car Liam m’a dit qu’ils étaient actuellement en voyage au Japon chez la famille de sa mère. J’adore le cadre verdoyant, au milieu de la campagne et des champs à perte de vue. Nous sommes littéralement au milieu de nulle part et c’est tellement apaisant d’être loin de la cohue citadine. J’ouvre légèrement ma vitre et l’air frais caresse mon visage. L’odeur de la terre mêlée à l’humidité de l’air me rappelle la richesse de la nature. J’inspire puis j’expire profondément. J’ai vraiment envie de m’amuser ce soir et de ne plus penser à rien. Ni au procès, ni à Archibald, ni à Nev… merde, est-ce que Liam a invité Neva ? Il en serait capable cet enfoiré… J’admire sa détermination à vouloir nous réunir mais tout ce que je souhaite c’est m’éloigner d’elle. Je veux avoir les idées claires pour le procès qui arrive.

J’accélère dans un dernier virage, dépasse une clôture en bois, je ralentis et continue ma route sur l’herbe givrée puis tente de me garer entre deux voitures. Putain, il y a au moins une vingtaine de voitures, il a invité combien de personnes ?

Je balance mes lunettes de soleil dans la boîte à gants et sors de ma voiture avec une bouteille de vin d’un grand cru Gewurztraminer entre les mains. Je m’avance vers la porte d’entrée puis sonne. Je n’attends pas longtemps avant que Liam apparaisse avec un grand sourire, habillé d’une chemise bleue claire avec les manches retroussées et d’un pantalon simple de couleur noire.

– Joyeux anniversaire enfoiré ! m’exclamé-je avec un sourire enjoué.

– Merci mec ! répond-t-il en me faisant une accolade. Entre !

– Tiens, je t’ai amené ton préféré dis-je en lui tendant la bouteille.

– Merci ! Mais je crois que c’est plutôt toi qui va en avoir besoin… rétorque-t-il en claquant la porte derrière moi.

– Comment ça ? demandé-je d’une voix rauque.

Liam s’avance vers l’immense séjour où la foule s’agglutine déjà et danse au rythme d’une musique pop. La lumière est tamisée et chaude et la lueur de la lune se reflète à travers la grande baie vitrée. La décoration est toujours très épurée, les meubles blancs et les œuvres d’art abstrait accrochées au mur démontrent encore le goût raffiné de ses parents pour l’art. Liam me fait un signe de tête pour que je regarde en direction du canapé d’angle beige où deux personnes que je connais que trop bien sont littéralement collées l’une sur l’autre. Merde. Alors j’aurais tout imaginé sauf ça.

– Je t’avais dit que Malo serait là mais je ne pensais pas qu’il inviterait sa nouvelle copine…

– Et surtout que sa nouvelle copine serait Lara… ne t’inquiète pas pour moi, Liam, ça ne me fait rien du tout.

Je suis même plutôt soulagé. Si Malo pensait se venger, c’est tout le contraire.

– T’es sûr ? Je sais que vous avez quand même été plusieurs mois ensemble…

– Il me rend même service, je devrais le remercier.

Liam éclate de rire.

– Vu comment certaines filles te matent déjà, je pense que tu n’auras pas de mal à passer à autre chose ce soir. Mais je t’ai prévenu, je ne veux pas d’embrouilles !

– T’inquiète.

– Je vais chercher Agathe, j’arrive.

J’essaye de me frayer un chemin dans la foule et malgré le regard de certaines femmes sur moi, mes yeux n’en cherche qu’une. Putain. Je n’ai pas osé demander à Liam si elle était là. Je secoue la tête et me dirige vers le bar à ma droite puis me sers un verre de vin pour chasser cette pensée. Mon palais se délecte des notes épicées et fruitées du breuvage. Je pose mon verre et m’avance dans la foule en prenant soin de ne pas me diriger vers Malo et Lara. Elle est carrément assise sur ses genoux et est agrippée à son cou tandis qu’il lui susurre des mots à l’oreille. Un rire s’échappe de mes lèvres tellement je trouve cette situation absurde.

Je continue d’avancer et je suis pris d’un sursaut lorsqu’une personne se recule et heurte violemment mon torse en m’écrasant presque un pied. « Pardon » dit-elle en se retournant vers moi. Je marmonne sur le moment mais ma complainte s’arrête rapidement lorsque je reconnais ses yeux noisette. Ma respiration se fait courte et mon cœur tambourine fortement dans ma poitrine. Elle est là.

– Aïe, il n’y a qu’à moi que ça arrive ce genre de choses râle-t-elle.

Je baisse les yeux et constate qu’une de ses mèches de cheveux s’est coincée dans un bouton de ma chemise, nous obligeant ainsi à rester proche. J’inspire profondément son parfum sucré et épicé. Encore plus délicieux que le goût du vin.

– Neva, tu ne trouves pas que le destin s’évertue à nous rapprocher ?

– Tais-toi et aide-moi à libérer mes cheveux.

Pourquoi j’adore quand elle m’envoie balader ? Un sourire enjoué se dessine sur mes lèvres lorsque mes doigts frôlent les siens pour délicatement dérouler sa mèche. Je prends mon temps pour faire durer ce moment mais Neva récupère rapidement sa mèche de cheveux sans étonnamment arracher le bouton de ma chemise. Dans un autre contexte, ça ne m’aurait pas dérangé.

Je la détaille de bas en haut. Elle porte des chaussettes hautes grises, une jupe courte plissée grise à carreaux et un pull blanc qui dévoile ses épaules. Elle a attaché une partie de ses cheveux en couette derrière et le reste est lâché, tombant dans son dos. Peu importe ce qu’elle porte, je la trouve toujours magnifique. Mes yeux s’arrêtent sur sa bouche bien dessinée puis remonte vers son front. Mes sourcils se froncent et mes muscles se crispent. Qu’est-ce que… ?

– Tu t’es blessée ?

– Depuis quand tu t’inquiètes pour moi, Aaron ?

– Accorde-moi au moins ça, vu que Laël a le droit à tout le reste.

Elle lève les yeux au ciel lorsque qu’Agathe pose sa main sur son épaule.

– Salut Aaron ! s’exclame Agathe.

– Salut ! dis-je en passant nerveusement une main dans mes cheveux.

– Ah, t’as rejoint la piste de danse, mec ! ajoute Liam en arrivant à côté de moi.

Mes yeux demeurent fixés sur la blessure de Neva et je ne peux m’empêcher de penser au pire. Neva quant à elle, évite mon regard.

– Je vais prendre l’air lancé-je à Liam.

Je bouscule quelques personnes pour me diriger sur la terrasse. L’air frais et hivernal frappe mon visage et me remet les idées en place. Je sors une cigarette de ma poche, la porte à ma bouche puis l'allume avec le briquet. J’inspire profondément la fumée âcre qui me pique la gorge. Putain, détends-toi Aaron. C’est peut-être rien du tout, elle s’est simplement cognée. C’est certain.