Chapitre 16 - Neva

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Lorsque je me rends au tribunal pour assister à des procès mais aussi lors des stages que j'ai pu effectuer, le regard des autres m'a toujours fait ressentir ce syndrome de l'imposteur duquel je cherche à me détacher. Je ne pensais pas que ma vie professionnelle allait souvent être source de misogynie et de sexisme. Oui, j'ai 24 ans et je suis une femme. Double peine. Mon jeune âge laisse transparaître mon manque d'expérience et mon genre me confère une moindre légitimité d'après le regard de certains confrères qui ont encore des idées arrêtées et moyenâgeuses.

Je sais que je suis légitime, du moins je m'en rassure tous les jours. Certes, je suis jeune mais j'ai obtenu mon baccalauréat à seize ans car j'avais sauté une classe au collège. Loin de moi l'idée d'avoir voulu abandonner Noam en 5ème mais les cours devenaient soporifiques pour moi.

Je suis légitime. Je suis avocate pénaliste. Bon, pas exactement, je le serai officiellement lorsque j'aurais atteint quatre années d'expérience dans la profession, je pourrai enfin demander ma spécialisation en droit pénal. Mais maman m'a toujours dit que lorsque l'on veut vraiment quelque chose, on se le répète tous les jours comme un mantra et on agit comme si on l'avait déjà. C'est ce que je fais et jusque-là ça a plutôt bien fonctionné de visualiser mes rêves. Enfin, pas pour tous. Je n'ai jamais rêvé de perdre ma mère ni de vivre une relation amoureuse avec un pervers narcissique.

Il est deux heures du matin, je me blottis contre mon oreiller moelleux et me cache sous ma couette épaisse qui m'enveloppe et que je remonte jusqu'à mes yeux. C'est fou cette habitude de la garder hiver comme été comme si c'était une sorte de protection. Une barrière de sécurité contre les monstres qui se cacheraient sous mon lit. Bien que les vrais monstres se trouvent plutôt dans notre lit et sont souvent ceux que nous invitons consciemment ou non à y entrer.

Je me tourne à droite, puis à gauche, me replace sur le dos et quelques secondes plus tard sur le ventre. Mon cerveau est en pilote automatique et ne cesse de cogiter. Je revois cette voiture dissimulée derrière un arbre en face de mon immeuble. D'habitude, personne ne se gare ici à moins de vouloir retrouver son véhicule recouvert de fientes de pigeons car c'est leur arbre favori. Je n'ai pas eu le temps de distinguer qui c'était mais j'avais la sensation d'être observée.

Est-ce qu'Ethan ne m'aurait pas oubliée ? Est-ce qu'il veut venir me hanter ?

Non, je refuse de croire ça. Et quand bien même si c'était lui, je ne suis plus celle qu'il a connue, je ne suis plus aussi naïve et je ne me laisserai plus faire.

Est-ce que j'ai bien fermé la porte d'entrée à clé ?

Ça suffit. Est-ce que mon cerveau peut cesser de réfléchir à chaque seconde de la journée et de la nuit ? N'y a t-il pas un bouton off ? Ce serait incroyable, je devrais peut-être le visualiser et ça va se réaliser.

2H30. Mon portable vibre sur ma table de chevet. C'est qui ? Un insomniaque comme moi dans tous les cas. Je l'attrape. C'est Agathe.

Anniversaire de Côme annulé ce week-end. Il a des soucis digestifs et préfère reporter à la semaine prochaine.

J'ai un soupir de soulagement bien que j'aime beaucoup Côme mais ça m'évitera de devoir demander à Laël de venir à l'anniversaire d'un chat. Mon portable me surprend à vibrer une deuxième fois dans mes mains si bien que j'ai failli le faire tomber sur mon visage. Agathe. Elle ne dort toujours pas elle aussi ?

L'invitation tient toujours pour Laël et je ne te laisse pas le choix sinon j'irai lui demander moi-même.

Quoi ? Je ne sais pas si c'est son côté thérapeute mais Agathe adore me confronter à mes peurs et mes inhibitions. Elle sait très bien que je n'oserais rien lui demander. L'anniversaire de Côme est une excuse pour me pousser vers lui, je le sais. Est-ce que c'est mal ? Je sais qu'Agathe ne veut que mon bien mais je ne suis pas sûre d'être prête pour ça. Est-ce qu'il existe vraiment ce moment où l'on sera prêt ? Ou ne faut-il pas simplement sauter dans le vide ? Sans parachute ? Non, je ne peux pas. Mon esprit de contradiction répond spontanément :

Tu n'oserais jamais faire ça !

Pourquoi j'ai écris ça ? Elle va vraiment le faire ! Je la connais !

Je me rattrape :

Je lui demanderai mais sache que s'il ne vient pas, ce n'est pas de ma faute.

Elle répond presque instantanément :

Ta seule présence le fera venir.

J'esquisse un léger sourire puis pose mon téléphone sur la table de chevet.

Je n'ai pas encore dit à Agathe que j'allais faire une planque ce week-end avec Laël devant le domicile d'Alaric Stein. Original comme premier date. Mais ce n'est pas un rendez-vous romantique, c'est uniquement professionnel.

Je suis professionnelle. Je suis avocate. Je suis avocate pénaliste. J'enquête simplement avec un lieutenant de police.

Je me souviens de mon premier rendez-vous officiel avec Ethan. La virée nocturne sur la terrasse du toit de ma résidence n'était pas forcément un date à proprement parler. Bien qu'on ait passé la majeure partie de la nuit à discuter et à se rapprocher car il faisait légèrement froid, du coup il m'avait prêté sa veste et avait passé son bras autour de moi pour me réchauffer. Je me souviens que nos lèvres s'étaient presque frôlées ce soir-là avant que le gardien de la résidence ne vienne nous déloger du toit et nous somme de rentrer chez nous.

Du coup, lors de notre premier date officiel quelques jours plus tard, Ethan m'avait invitée dans un restaurant italien plutôt chic et était venu me chercher avec une rose rouge à la main. J'avais même pensé, des hommes font ça dans la vraie vie ? Ce n'est pas uniquement dans les films ? N'ayant pas eu de figure paternelle, j'avais plutôt une mauvaise image de la gente masculine mais Ethan me montrait que les hommes pouvaient être différents. Enfin, c'est ce que je croyais.
Je le trouvais tellement beau, intelligent, attentionné mais surtout passionné. Deux choses l'animait, ses études de médecine et moi.

Son rêve était de devenir chirurgien cardiaque. Je l'admirais car il se donnait les moyens de réussir alors qu'il venait d'une famille modeste surtout qu'il n'avait que son père et son petit frère dans sa vie. Sa mère était partie quand il n'avait que cinq ans. On partageait cette blessure d'abandon qu'on essayait de réparer inconsciemment à deux. Enfin c'est ce que je pensais à l'époque. Avant qu'il n'ose briser cette relation que j'avais peut-être trop idéalisée. Avant le premier désaccord, le premier reproche, la première insulte, la première confusion, la première gifle,...

Mon cœur sursaute et j'ai subitement des palpitations. Il faut que j'arrête de penser à ma relation avec Ethan, c'est le passé et je dois le laisser là où il est. J'inspire, j'expire. Je pose mes deux mains sur mon cœur et j'essaye de porter mon attention sur quelque chose de plus positif.

Notre dernier anniversaire avec Noam ? La magnifique soirée que nous avons tous passés sur un bateau, le coucher de soleil rythmé par la musique entêtante d'une fin d'été, Noam qui me faisait tournoyer dans tous les sens et qui était persuadé qu'on dansait encore mieux que des professionnels, Agathe qui voulait s'assoir sur les genoux du skipper et qui a failli tomber à l'eau...

Je sens soudain mon rythme cardiaque se ralentir, la fatigue alourdit mon corps et les souvenirs me semblent trop lointains maintenant. Mes yeux se ferment doucement pour m'emmener vers un monde onirique.

Quand le coeur balance...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant