Chapitre 60 - Laël

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Lorsque je retourne m'assoir à ma place, j'ai des palpitations, mon cœur bat à tout rompre mais je m'efforce de paraître impassible. Mes muscles sont encore crispés à cause de la question d'Aaron qui voulait visiblement me provoquer et me déstabiliser.

– Tu sais que t'as le droit de cligner des yeux et de respirer chuchote Caleb en se penchant vers moi.

Je retiens un rictus. Je sais qu'il me taquine mais il n'a pas tort. Plus d'un mois que je n'avais pas vu Neva mais elle me fait toujours le même effet. Bien que les circonstances ne soient pas propices à ce genre de choses, mais je ne contrôle rien quand je la vois. Ces derniers temps, j'ai pris sur moi, j'ai écouté les conseils de Caleb et je l'ai laissée tranquille malgré plusieurs soirs où j'étais à deux doigts de craquer et de lui écrire juste pour savoir comment elle allait. Non, j'ai résisté.

J'ai osé espérer qu'elle prendrait de mes nouvelles mais elle ne l'a pas fait... Je ne suis pas étonné vu la façon dont on s'est quittés la dernière fois chez moi et son fichu caractère... J'espère lui avoir manqué ne serait-ce qu'un peu car elle m'a énormément manqué. J'ai rêvé d'elle, d'effleurer ses lèvres, de caresser sa peau... Parfois je me demande si c'est normal ou si je deviens fou depuis que je l'ai rencontrée. Comment est-ce possible qu'une personne prenne autant de place dans ma tête ? Que toutes les chansons d'amour que j'écoute ne me fassent plus penser qu'à elle ? Alors que nous ne sommes même pas ensemble mais j'ai dû mal à passer à autre chose...

Mes yeux ne pouvaient se détacher d'elle lorsqu'elle me posait des questions. Elle s'exprime bien, elle soutient le regard, elle est forte, déterminée, passionnée... elle était obligée de me vouvoyer comme si nous étions de simples inconnus ce qui m'a fait sourire.

Ce procès arrive vraiment à point nommé. J'espère fortement que ce connard de De la Valière sera condamné. Et une fois terminé, Neva sera peut-être plus disposée à discuter ou à passer du temps avec moi. J'ai eu longuement le temps de réfléchir et oui, j'ai peur de souffrir, j'ai peur de l'aimer plus qu'elle ne m'aime, j'ai peur de la perdre, j'ai peur de ne pas m'en relever si elle me rejette encore mais si je n'essaye pas, je le regretterai toute ma vie. La vie est une prise de risque. Et si je ne risque rien, je ne vis pas vraiment.

Mes yeux s'égarent vers Aaron qui est égal à lui-même. Il y a tellement d'arrogance qui se dégage de sa personne. Mais il ne lâche pas Neva des yeux... et cette fois-ci ça me semble différent. J'ai souvent observé le comportement de mon frère avec les femmes, son regard a toujours été charmeur et désinvolte... mais là ses yeux sont empreints d'une lueur plus profonde et intense comme si un feu intérieur l'animait... comme s'il ne jouait plus. Merde. Est-ce qu'il a des sentiments pour elle ? Non, je dois me faire des idées. Cette simple pensée me serre la poitrine et le cœur.

J'irai parler à Neva après l'audience, je vais l'inviter au restaurant ou à aller boire un verre. J'ai besoin de savoir comment elle vit ce moment, comment elle va... je m'en fous si elle m'envoie balader, si elle m'en veut de ne pas l'avoir contactée... elle ne l'a pas fait non plus. D'autant plus que je n'oublie pas cette histoire de voiture vandalisée... ça me trotte dans la tête depuis que Caleb m'en a parlé.

Je sors de mes pensées lorsque c'est au tour d'Alaric Stein d'être appelé à la barre. Je n'estime pas cet homme mais je dois admettre que nous avions totalement fait fausse route au début de cette enquête. Comme quoi les apparences sont souvent trompeuses. Le président l'auditionne et Stein évoque sa relation avec Dalia. Ils se sont rencontrés il y a plus d'un an au marché de Noël alors que Dalia travaillait dans un stand de vin chaud et ce fut un coup de foudre. Dalia était au début réticente à vivre cette histoire car elle était toujours en couple avec Archibald mais Stein l'a apparemment aidée à fuir cette relation qui était abusive. Il décrit Dalia comme une personne solaire, sociable, qui adore la cuisine et notamment la pâtisserie. Il évoque sa dépression suite à sa relation avec Archibald, le réconfort qu'elle pensait trouver dans l'alcool pour oublier ses maux, la façon dont il essaie chaque jour de lui apporter du soutien mais souligne que c'est un chemin long et sinueux.

Il parle également du fait qu'ils ont dû cacher leur relation car ils avaient peur de la réaction d'Archibald mais qu'un jour il en ont eu assez de se cacher et ont rendu public leur amour. Et c'est à ce moment-là, que les menaces, le harcèlement puis les accidents ont débutés. Malheureusement, nous n'avons aucunes preuves concrètes du harcèlement d'Archibald, ce connard est plutôt discret...

– Monsieur Stein, vous confirmez avoir organisé une soirée très médiatisée, le soir du 31 décembre, c'est exact ? demande Aaron.

– Oui, c'est exact.

– Si Dalia était potentiellement en danger de mort à cause de la médiatisation de votre relation, pourquoi avoir volontairement mis en danger votre compagne en organisant cette soirée ?

– On en avait marre de devoir se cacher, on voulait juste vivre normalement.

– À cet instant, vous n'aviez donc pas peur des répercussions de cette soirée alors qu'elle avait été agressée des mois plus tôt, Monsieur Stein ?

– Non... enfin, on n'imaginait pas que ça prendrait de telles proportions.

– Vous avez spontanément répondu non, Monsieur Stein, non vous n'aviez pas vraiment peur. Pourquoi ? Parce que vous venez distinctement d'avouer qu'il n'y avait pas de réel danger. Il faudrait être fou pour risquer sa vie pour une simple soirée, non ? déclare Aaron en se tournant vers les jurés. Je n'ai pas d'autres questions ajoute-t-il en retournant s'assoir.

– Putain ! Tu te fous de ma gueule, Aaron ? s'écrie Stein.

– Monsieur Stein, vous vous calmez immédiatement sinon vous sortez de cette salle ! ordonne le président.

Stein marmonne quelque chose d'inintelligible dans sa barbe alors qu'Aaron ne laisse rien transparaître et demeure stoïque. Neva se lève et s'avance vers Alaric.

– Monsieur Stein, vous avez évoqué des menaces et du harcèlement. Pouvez-vous nous préciser quelle forme cela prenait ?

– Au début, c'était des dégradations sur ma voiture et celle de Dalia, d'ailleurs, elle n'en a pas racheté une pour cette raison. Ensuite, il suivait souvent Dalia partout où elle allait, elle le voyait à chaque coin de rue et il venait souvent lui parler pour la menacer, pour tenter de la récupérer. Si bien que Dalia n'a pas osé reprendre un travail car elle avait peur qu'il passe son temps à l'épier. Elle n'osait plus se promener seule ou tout simplement vivre normalement. Même juste sortir dans la rue comme tout le monde était devenu difficile.

– Pourquoi ne pas avoir porté plainte, Monsieur Stein ?

– Parce que j'avais peur que ça empire les choses... c'est un homme qui a du pouvoir, je pensais que c'était peine perdue de tenter quoi que ce soit.

– Vous aviez peur que ça empire les choses... c'est-à-dire ?

– J'avais peur pour ma vie et celle de Dalia. Mais par fierté certainement, à un moment, j'en ai eu marre de me plier à ses menaces et je voulais juste vivre normalement mais la peur était toujours là.

– Donc vous viviez dans une peur constante depuis plusieurs mois, c'est bien ça ? Une peur tellement paralysante qu'elle vous a empêché de porter plainte plus tôt alors que vous viviez un cauchemar ?

– Oui, c'est ça...

– L'évènement du 31 décembre était-il une manière pour vous de retrouver une vie normale au moins le temps d'une soirée ?

– C'est exactement ça ! Je voulais simplement que Dalia s'amuse et profite au moins le temps d'un soir...

– Merci, c'est tout ce que je voulais savoir répond Neva en retournant à sa place.

Je suis Neva des yeux et elle semble anxieuse même si elle essaye de ne rien faire transparaître. Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille et baisse ses yeux sur des notes qu'elle tient entre ses mains. De son côté, Aaron joue nonchalamment avec un stylo qu'il tourne entre ses doigts et la fixe intensément. Putain, il peut arrêter de la regarder comme ça ? C'est certainement une manœuvre pour la déstabiliser mais je sais que Neva ne va pas se laisser faire. Et je serai là pour elle, quoi qu'il arrive.

Quand le coeur balance...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant