5 - Provocation

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Les soirées sont les petites utopies de notre quotidien morne. Ce sont peut-être les seuls espaces de pur liberté, les seuls instants de notre vie où tout est permis, où personne n'attend rien de nous. Enfin si, bien-sûr, il y a quelques garçons qui attendent qu'on les regarde, il y a les amies qui veulent qu'on danse avec elle, il y a ceux qui veulent qu'on boive autant qu'eux... Mais ce sont des responsabilités agréables, et qui ne prêtent pas réellement à conséquence si elles ne sont pas remplies. 

En soirée, il n'y a personne pour te reprocher ton maquillage élaboré, ta jupe trop courte, tes cris bruyants. Tu peux vomir sur le tapis, embrasser un type d'une autre classe que tu viens de rencontrer ou te retrouver en sous-vêtements, il n'y aura pour accompagner tes délires que des fous-rires alcoolisés. La soirée est au-delà du bien et du mal. Elle n'a d'autre but que de fuir la routine, et de produire des souvenirs. Quiconque dépasse les bornes est adulé pour avoir créé de la mémoire commune. 

Vers minuit, avec Nina, nous avons déjà quelques verres dans le sang. Les mélanges de boissons fortes diluées dans des sodas bas de gamme se diffusent dans notre organisme. Le sol tourne un peu, la banalité parait plus drôle, on veut parler fort et rire pour rien. De temps à autre, quand la chanson qui passe dans les enceintes du salon de Raphaël nous plait un peu moins, on s'éclipse à la cuisine pour se remplir des gobelets supplémentaires. On a à peine mangé avant de venir pour que l'ivresse frappe plus fort et plus vite. On est des expertes de la rentabilisation. 

Bien qu'il s'agisse théoriquement d'une soirée entre Terminales, Théo a amené sa copine. Justine est sublime. À chaque fois que je la vois, je me demande comment il a réussi à se récupérer quelqu'un comme ça. Elle est sublime et elle le sait. Elle porte une robe incroyablement courte, pour prouver au monde que ses jambes sont d'une finesse délirante. Sur son dos nu, d'une droiture aristocratique, ses cheveux blonds tombent avec une simplicité arrogante. Elle s'est faite une frange pour l'occasion, qui s'arrête juste au dessus de son regard de saphir. Emportée par l'alcool, je m'approche du couple qui s'embrasse en titubant légèrement. 

— Mec, ta meuf est juste illégale en fait. 

Théo hausse les sourcils pour me demander de développer mon propos, tandis que Justine rougit en me regardant. La musique tonitruante nous force à hausser la voix pour couvrir les pulsations agressives d'un morceau électronique. 

— Non mais sérieusement comment t'as réussi à l'avoir alors qu'elle ressemble à ça ?

— Mon charisme démesuré. 

— Tu la mérites clairement pas. Justine vient avec moi on va te trouver mieux !

Elle me sourit avant de demander :

— T'as bu combien de verre ? 

— Trop pour compter ? Et toi ? T'as l'air beaucoup trop sobre, c'est grave là. Arrête d'embrasser ton mec, t'as du retard à rattraper !

Sans attendre sa réponse, je l'attrape par la main et je la traine jusqu'à la cuisine où je lui sers un mélange particulièrement fort. Je m'en prépare une portion et on se lance un compte à rebours avant d'en avaler le contenu cul-sec dans une gorgée synchronisée. Je réalise quand le liquide traverse mon gosier que j'ai probablement forcé sur les proportions entre diluant et alcool. Tant pis. Je ressers une autre tournée. Entre les deux tours, j'admire la présence surréaliste de la copine de Théo. 

— J'adore ta frange, ça te va trop bien !

— Merci ! T'es trop stylée aussi. 

— Tu connais des gens ici ce soir ou Théo t'a présenté à personne ? 

— Je connais vaguement un ou deux de ses potes, mais c'est tout. 

— Ouaip c'est normal il a pas d'amis, il risque pas de t'introduire à grand monde. 

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant