40 - Décision

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Je fais les cent pas dans ma chambre en attendant l'arrivée de Justine. Il y a une heure, j'ai reçu un message qui me proposait qu'on se voit, sans autre information. Évidemment, je n'ai pas eu besoin d'en savoir plus pour deviner de quoi il serait question. Je me suis contentée de répondre par un "ouais, bonne idée" aussi simple qu'angoissée. 

Je reste hantée par l'appel de cette nuit, par cette occasion manquée de la retrouver, de profiter de l'euphorie de la soirée, de miser sur ses hésitations. Peut-être que c'était le seul moment où elle aurait réellement considéré de quitter Théo. Peut-être que c'est foutu maintenant. J'essaie de me calmer en faisant du sport, mais tous les abdos du monde ne parviennent pas à ralentir mon rythme cardiaque. 

Et puis je suis obligée de m'habiller décemment pour quand elle sera là. Je ne peux pas l'accueillir en tenue d'exercice. Il vient un moment où je dois me préparer. J'opte pour une efficacité simple, le refus de trop en faire mais l'envie de lui plaire quand même. Je change de tenue cent fois. Je me fixe dans le miroir, en me forçant à me calmer, à limiter mes attentes. Probablement qu'il ne se passera rien, qu'on se contentera de confirmer que notre relation ne peut aller nulle part et qu'il faut arrêter de jouer à se séduire en dépit du sens commun. 

Justine finit par sonner à la porte et mon coeur s'arrête de battre. C'est le moment de vérité. Je me traine jusqu'à l'entrée. Mon père est dans le salon. Il n'a aucune idée de ce qui se joue quand j'ouvre à mon amie. Elle me salue timidement. On hésite quelques secondes avant de se faire la bise. La tension rend nos gestes maladroits. Sa joue contre la mienne me provoque une décharge que je me force à ignorer. 

En entrant, elle retire le pull épais qui la protégeait du froid pour révéler l'un de ses fameux t-shirt ridiculement petits qui soulignent à quel point sa silhouette est incroyablement fine. Je me retiens d'accorder trop d'attention à la légère bande de peau laissée à nue entre son jean et le tissu de son top. 

On se dirige vers ma chambre dans un silence grave. On devrait signer un accord géopolitique aboutissant à une guerre mondiale qu'on ne serait pas moins anxieuses. On s'installe sur mon lit en se souriant dans l'espoir que l'une de nous deux décide d'entamer les hostilités. Ou au contraire dans l'espoir qu'aucune de nous ne mette à terme à cette douce période de flottement où l'on profite du spectacle de l'autre, sublime malgré son malaise. 

— À un moment va falloir qu'on parle je crois. 

— Tu veux commencer par quoi ? 

— Parce qu'il y a plusieurs sujets ? 

— Bah y'en a un seul, mais y'a plusieurs manières de l'aborder. 

— Théo ? Au fond, c'est ça le sujet, non ? 

On acquiesce dans un même geste. Le calme de la pièce a quelque chose de presque hostile. J'en regrette quasiment de ne pas avoir fait ça dans un restaurant, dehors, dans un espace où la vie aurait permis de se débarrasser de cette étrange impression de froideur. La retenue de nos sourires ne parvient qu'à renforcer cette distance insurmontable. On se force toutes les deux à ne pas succomber à des désirs qui briseraient toute possibilité de réflexion lucide. 

— Tu penses que je devrais le quitter ? Genre vraiment ? 

— Bah j'avoue que c'est un peu ta décision quand même... Ok si tu le fais ça m'arrange mais... À la fin c'est toi qui prend quoi. 

— C'est ton pote aussi non ? Ça te dérange pas de savoir qu'il va... enfin... il va nous détester, non ? 

— Peut-être... j'en sais rien... Honnêtement j'suis pas dans sa tête mais... On n'est pas obligées de lui dire qu'on a fait des trucs quand t'étais encore en couple avec lui. On peut faire semblant que ça commence qu'après. 

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant