17 - Assumer

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La douceur de Justine. En dépit de ma migraine, se réveiller contre son corps frêle est l'une des sensations les plus agréables au monde. Le sommeil nous a mises dans une position de cuillère désordonnée, où nos jambes s'entremêlent et nos bras se superposent. La tendresse de sa peau sous la mienne m'apporte une paix indescriptible. 

Toujours dans un demi-sommeil, je repense à la veille. À ses traits étirés par le plaisir. À ses couinements incontrôlés. À son regard suppliant quand elle se trouvait au bord de l'abîme. À ses sourires mutins qu'elle se forçait à arborer, mais qui devenaient de plus en plus dur à maintenir au fur et à mesure que l'on s'enfonçait dans la nuit. 

Le sexe m'a toujours attirée comme espace où l'on re-découvre quelqu'un. C'est une sorte d'accès privé à une facette de chaque individu à laquelle seule une poignée de personnes auront accès. Coucher avec un homme, c'est entrevoir une attitude qu'à peine quelques autres femmes connaîtront. Mais là où les garçons que j'ai fréquenté jusqu'ici s'obstinaient à conserver un semblant de contrôle, un silence digne à peine perturbé par quelques grognements virils, un visage sérieux et concentré, Justine m'avait offert autre chose. Une vulnérabilité. La même vulnérabilité que j'offrais d'habitude à mes partenaires et qui, pour la première fois, m'était intégralement rendue. 

C'est pour ça que nos jeux de la veille ne quittent plus ma tête. À l'excitation renouvelée que me provoquent déjà ces souvenirs, je ressens un mélange de honte et de culpabilité. Tout nous menait vers ce précipice et pourtant, peut-être qu'on n'aurait jamais dû le franchir. Comme si on en avait toutes les deux consciences, aucune de nous n'a osé retiré ses vêtements. Même là, dans ce lit, Justine porte encore son top et sa jupe. Ma robe sépare ma peau de la sienne. Seules nos culottes, par soucis d'efficacité, trainent encore sur le sol de la cuisine. 

Jusqu'au bout, on a voulu se persuader qu'il ne se passait rien. Que ça n'était pas sérieux. Et ça ne l'était pas vraiment. Je n'ai jamais autant ri en couchant avec quelqu'un. Mais je n'ai jamais ressenti un tel plaisir non plus. Le détachement et l'ironie, loin d'amoindrir la puissance de notre union, n'avaient fait qu'en décupler l'intensité. Il n'y avait aucun enjeux de performance ou de représentation. Cette nuit était à mes ébats habituels ce qu'une soirée pyjama entre amies était aux rendez-vous galants avec un inconnu. Un pur lâcher-prise décomplexé. 

Et maintenant, j'ai ma jambe sur la hanche de mon amie, nos bras se lient, ma poitrine se colle contre son dos. Mais il n'y a plus d'alcool dans notre cerveau, sinon les quelques résidus de gueule-de-bois, et je commence à craindre que cette douce folie n'ait été que ça. Une folie. J'appréhende le réveil de mon amie, alors je me serre un peu plus contre elle.

Dès qu'elle se met à bouger, mon coeur s'accélère. Je suis derrière elle, je ne peux que deviner son visage. Dans mon champ de vision, il n'y a qu'un mur de cheveux blonds et décoiffés. Je patiente en silence, jusqu'à ce que sa voix, rendue rauque par le mal de tête, demande :

— T'es réveillée. 

— Ouaip et toi ? 

— Bah évidemment que je suis réveillée si je te pose la question pauvre conne. 

Depuis ma gorge sèche, mon rire paraît jaillir d'outre-tombe. Justine se retourne lentement, péniblement. Elle se libère de l'emprise de mes membres qui dépassent sur son espace vital pour me faire face. Son sourire timide me rassure. On se scrute, presque mal à l'aise. Je me demande si elle revoit les mêmes images que moi dans sa tête. Les mêmes sons, les mêmes sensations, les mêmes odeurs. Pour mettre un terme à la tension qui nous oppresse, je l'interroge d'un ton innocent : 

— On regrette ? 

Elle hausse les sourcils et son sourire, en se faisant soudainement plus espiègle, me libère d'un poids immense. C'est comme si je découvrais que je n'avais pas respiré jusque là, et que je reprenais enfin mon souffle. 

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant