21 - Piégée

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Au réveil, en ouvrant mon téléphone, je découvre avec horreur une quantité délirante de notifications, dont un certain nombre proviennent de comptes avec lesquels je n'ai jamais interagi. Dans le masse d'élèves du lycée, je trouve les messages de Nina que je décide d'ouvrir en premier. 

Sur notre conversation, il y a encore mes messages de la veille à propos de mon coup d'hier soir. Trois petites bulles qui l'informent que j'ai couché avec un mec. Elle n'y répond pas. Comme si elle ne les avait pas vues, elle me demande :

Nina : c'est vraiment toi sur la vidéo ????????

Je panique. Mon lit s'ouvre et me laisse chuter dans le vide. J'écris en tremblant "quelle vidéo ?" mais je suis à peu près déjà sûre de savoir ce que je vais découvrir. Je n'attends même pas qu'elle réponde. Je parcours les autres messages reçus à la recherche d'un lien. Parmi les dm, il y a des questions, du soutien, et puis quelques insultes. Pour l'instant, ma tête n'est pas prête à analyser ces informations. Tout ce qu'elle cherche, c'est un url souligné sur lequel je puisse cliquer. 

Je finis par tomber sur une fille qui était dans ma classe l'année dernière et qui m'envoie le lien avec le message "y'a ça qui tourne, c'est toi dessus ?". Je tremble en cliquant sur la suite de lettres et de chiffres. Le navigateur s'ouvre et débouche sur une application de téléchargement tout à fait banale, du même genre que WeTranfer. On peut cliquer pour récupérer un fichier .mp4 dont l'intitulé est mon prénom suivi de mon nom de famille. 

Mon coeur se glace. Je me demande si je dois vraiment la regarder. La peur me donne envie de jeter mon téléphone par la fenêtre. Je voudrais faire l'autruche. Sauf que tout le monde l'a déjà vue. Ne pas cliquer sur le bouton "télécharger" ne suffira pas à la faire disparaitre. J'ai l'index à quelques millimètres de l'écran, incapable de franchir le pas. 

Et puis j'ose. Je vois le cercle du gestionnaire de téléchargement qui se remplit. Il ne reste plus qu'à ouvrir le fichier. Dans un sursaut, je pose mon iPhone loin de moi. Je le fixe avec appréhension, à la manière d'un prédateur qui pourrait me sauter dessus à tout instant. Mais il ne se passe rien. Je suis dans le confort de ma chambre. 

Je suis aussi dans les pixels de cette vidéo mp4. 

Après avoir pris une grande inspiration, j'ose enfin la lancer. J'ai la chair de poule en découvrant les images. 

Tout est filmé dans la pénombre. L'absence de luminosité donne à l'image un grain de mauvaise qualité. Mais malgré la résolution précaire, on peut difficilement ne pas reconnaître ce qui est filmé. Une masse de cheveux se secoue, prolongée par un dos couvert d'un t-shirt blanc, et qui se termine par des fesses laissées à nu. On distingue deux bruits réguliers. Des chocs, comme une série de claques. Et puis des cris aigus. 

Les miens. 

Ce sont mes cheveux, mon dos, mon t-shirt, mes fesses, ma voix. Au moment où je dis "t'arrête pas" d'une voix suppliante, la vidéo s'arrête. Ce serait presque ironique si ça n'était pas tétanisant. On s'interrompt sur cette ultime image de mon corps pixelisé dans l'obscurité qui reste fixe. Une photo de l'horreur. Je ne comprends pas. 

En entendant toquer à la porte, je me dépêche de cacher mon téléphone. Ma mère me trouve livide, le souffle court, la tête sur le point d'exploser. Elle fronce légèrement les sourcils. 

— Eh bah... tu t'es encore laissée aller hier soir... Je voulais juste te rappeler que ton prof particulier arrive dans une heure, donc ce serait bien que tu sois douchée et habillée d'ici là. Et essaie de te maquiller aussi, tu as une tête à faire peur. La prochaine fois, évite de trop boire avant tes cours. On paye, donc ce serait bien qu'ils servent à quelque chose !

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant