22 - Connue

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Le lundi, au lycée, je ne me laisse pas surprendre par les regards en coin et les murmures gênés qui accompagnent mon passage. De l'entrée de l'établissement aux couloirs interminables, je reconnais immédiatement ceux qui sont au courant. Personne n'ose venir me parler, mais l'attention se lit sur leurs visages. Je leur évoque une nuée de pixels sombres en train de couiner. 

Je soutiens leurs regards, la tête haute. Je n'ai honte de rien. C'est eux qui devraient avoir honte de regarder ça. Honte de la fascination morbide que provoque chez eux l'étalage de ma vie privée. J'ignore mes réflexes sociaux qui me crient de rentrer chez moi. Je sais au fond de mes tripes que je n'ai rien à me reprocher. 

Quand je retrouve Nina, elle me serre dans ses bras. Son étreinte, aussi réconfortante soit-elle, m'agace un peu. D'abord parce qu'elle attire encore plus l'attention sur nous. Ensuite parce qu'elle part du principe que j'ai besoin de soutien. Or je m'en sors parfaitement bien. Je maitrise. 

— Comment tu te sens ? 

— Je t'ai dis, je gère. Tout le lycée a pu voir à quel point j'étais sexy au lit, il était tant que le monde sache ! Maintenant, les mecs savent ce qu'ils ont raté ces derniers mois. 

Elle affiche un sourire compatissant. Elle devine probablement que je ne crois qu'à moitié aux mots qui sortent de ma bouche. Mais je sais que si je cède à la détresse, je leur donne raison. Alors qu'en continuant de faire comme si rien n'avait eu lieu, c'est moi qui gagne. 

— Donc t'as vraiment décidé que c'était pas grave ? 

— Bah je suis en vie, non ? 

— Ouaip mais... 

— Meuf, je te jure, ça va aller. J'aurais dû vérifier pendant qu'on baisait, j'ai été conne, bah tant pis. 

— Non mais c'est pas ta faute là, c'est carrément la sienne. 

— Je sais, mais on me voit rien faire de grave de toute façon. Genre c'est pas comme si je tuais quelqu'un. Ok, je baise un mec. Et alors ? 

Comme pour répondre à ma question, le groupe d'amis de Romain passe à notre hauteur dans le couloir. L'un d'entre eux se met à imiter des gémissements caricaturaux, avant d'être imité par ses copains. Il y en a même un qui couine d'une voix suraiguë "t'arrête paaaaaaas" avant d'éclater de rire. Je lève les yeux au ciel avant de riposter : 

— Grave fière que vous découvriez ce que ça fait de baiser de meuf grâce à cette vidéo. Peut-être que dans trente ans, vous testerez dans la vraie vie. 

— Trente ans, c'est la durée que tu t'es fixée pour que ton bodycount atteigne dix chiffres ? 

— Je serai avec mon mec pendant que les meufs continueront de refuser de vous toucher. 

— Je préfère encore que personne me touche plutôt que de laisser la terre entière me passer dessus. 

— Tu dis ça parce que tu sais que même si tu voulais, personne te regarderait !

Nina me tire légèrement par le bras pour me faire remarquer que tout le couloir nous regarde. Le meneur du groupe de Romain subit la même remontrance de la part de ses amis. Le conflit s'arrête de cette manière, dans une honte commune, frustrés de ne pas avoir gagné le débat, tout en sachant qu'aucun vainqueur réel n'aurait pu émerger. 

Je m'installe à côté de Nina dans la salle de cours. Les quelques élèves de la classe qui n'étaient pas encore au courant sont probablement sur le point de tout découvrir. Je vois les chuchotements qui se propagent d'une table à l'autre. 

— Tu veux pas les dénoncer quand même ? 

— À qui ? 

— J'sais pas, à l'administration ? 

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant