24 - Tensions

86 6 1
                                    

Sa langue creuse lentement son sillon. L'ascension se fait à un rythme engourdi, comme s'il fallait lutter pour progresser, à la manière d'une course dans un océan qui vous arrive à la taille. Sa langue monte doucement, très doucement, et chaque millimètre qui entre à son contact prend le temps de libérer sa propre décharge d'électricité. Par sa minutie, j'ai l'opportunité de me cartographier. 

Quand elle arrive au sommet, à proximité du capuchon qu'elle aborde délicatement de sa pointe humide, elle se met à vibrer. Il n'y a toujours aucune précipitation. Ses tremblements sont précis, étudiés. Elle se secoue en effleurant le bouton qui s'enflamme à chacun de ses passages. Je me noie dans du velours. 

Contre la peau de mes cuisses, se jouent me brûlent. Je la serre entre mes jambes avec une telle intensité que je me demande si je ne risque pas de broyer sa tête. Ses cheveux caressent ma peau. Je les agrippe. Je me demande si mes ongles qui s'enfoncent dans son crâne la dérangent. Elle s'en accommode. Les sourcils froncés, le regard mutin, elle est entièrement dédiée à l'ouvrage studieux de sa langue. 

Ses mains glissent sur mon ventre. Par moment, presque par hasard, elles atterrissent sur mes seins. Elles semblent d'abord s'en étonner avant d'en profiter. Elles les empoignent, les malaxent, se les approprient. Je fonds sous ses caresses. Tout ce qui tombe sous le règne de ses doigts parait se liquéfier, perdre sa contenance. Je ne suis plus qu'une mer bouillonnante et tumultueuse. 

Pourtant, il y a ce plafond. Ce plafond nouveau qui contient l'incendie. Comme un mur de glace. Quand, entre deux soupirs haletants, un gémissement m'échappe, il se confond avec ceux que les hauts-parleurs de tant de téléphones ont retranscrit, suppliants et terribles. M'entendre moi, c'est entendre mon double piégé. J'ai sa voix. Je me dégoûte dès que je ne parviens pas à retenir mes hoquets de plaisir. 

Je voudrais être parfaitement silencieuse. Et en même temps je voudrais arrêter de voir l'impatience dans le regard de ma partenaire. Je m'accroche un peu plus à sa tête. Parfois, je regarde l'heure. Margaux m'a donné rendez-vous en début d'après-midi pour préparer un exposé, afin de me briefer pour qu'on ne "remarque pas que je n'ai rien foutu". J'ai accepté en lui donnant mon adresse. 

Je m'agace de penser à elle plutôt qu'au visage qui se trouve entre mes jambes. Mais être présente, c'est reconnaître ces couinements aigus et pitoyables que trop de gens connaissent désormais. Alors je me contiens. Le brasier ne prend jamais vraiment. La flamme peine à s'étendre. Justine souffle d'un air rieur : 

— Par contre dépêche toi parce que je vais bientôt attraper une crampe là

— C'est pas ma faute si t'as perdu la main.

— Tu vas voir ce qu'elle te dit ma main.

Elle éloigne sa tête et approche ses doigts. Elle m'interroge du regard. J'acquiesce en la défiant. Je me raidis quand son index et son majeur me découvrent. Elle ne perd pas de temps. De sa main libre, elle continue de caresser mon ventre où la chaleur me secoue sans parvenir à me transpercer. Elle me scrute et je sais ce qu'elle attend. 

Alors, coupable et honteuse, j'oublie la répugnance que me provoquent mes propres plaintes. Je me laisse aller à de faux cris de plus en plus rapprochés, et à des vibrations artificielles. Je me cambre, je tremble, j'attrape les couvertures. J'imite la transe, les yeux fermés pour ne pas subir son jugement. Je fais semblant de reprendre mon souffle en lui souriant. Elle n'est pas dupe. 

— Tu sais que ça me vexe moins si t'y arrives pas que si tu te sens obligée de faire semblant ?

— Je fais pas semblant...

— Meuf, je commence à avoir l'habitude, je sais faire la différence. C'est pas comme ça normalement, je suis pas totalement conne.

— Ça peut changer des fois hein...

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant