30 - Tentation

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Elle l'embrasse dans un coin de la pièce, à l'abris de l'éclairage et des regards. Mais pas du miens. Comme d'habitude, il pose ses mains sur ses fesses. Il ne les agrippe pas, mais ses mains sont là, banalement présentes pour profiter de cette zone qu'elle n'offre qu'à lui. Il la serre contre lui. Ses bras à elle restent ballants. Parfois, elle effleure sa taille. Elle lui donne ses lèvres ; elle n'a pas besoin d'en faire beaucoup plus.

Quand leur baiser se rompt, il se fixent amoureusement. Ils se parlent en souriant, et leurs mots se perdent dans la mêlée de discussions anonymes. Même leurs visages sont noyés dans la foule. Il n'y a que moi qui ne voit qu'eux. Que moi qui oublie les danseurs impétueux et les fêtards qui, un gobelet ou une bière à la main, parlent de tout et de rien. Il n'y a que moi qui ne peut pas décrocher mes yeux des amoureux qui font tout pour se donner l'illusion de l'intimité. 

Quand il l'embrasse à nouveau, il passe ses mains sous son top noir. Dans son dos. L'habit est déjà particulièrement court, la coupe découvre son ventre et la cambrure de ses reins. Lui, il s'aventure au niveau de ses omoplates, là où se trouverait la bande du soutien-gorge qu'elle ne porte pas ce soir. Malgré la pénombre, un oeil attentif peut apercevoir ses doigts caresser le sillon de sa colonne vertébrale sous le tissu. Mon oeil est attentif. 

Il raconte quelque chose qui la fait visiblement beaucoup rire. Elle lui touche l'épaule, comme pour contenir son hilarité. Il est fier de l'amuser. Il la tient par les hanches maintenant. Il pourrait descendre un peu plus bas, chercher la fin de sa jupe et la douceur de sa cuisse. Il ne le fait pas. Il est trop grand, ses bras sont trop courts. Il faudrait se pencher. Il se contente de sa taille.

— Tu m'écoutes quand je te parle ou quoi ? 

La voix de Nina me sort de ma contemplation. Sa question est escortée par un coup de coude suffisamment sérieux pour rendre mes côtes douloureuses pendant quelques secondes. À côté d'elle, le garçon qui nous parlait m'étudie lui aussi. Son sourire sert d'abord à masquer sa gêne de se trouver au milieu de deux filles qu'il vient à peine de rencontrer. 

— J'essaie de t'écouter le moins possible pour rendre ma vie supportable... Tu veux quoi ? 

— Je te demandais si tu voulais pas un shot ? 

— Tu connais déjà la réponse non ? 

— Je savais que je pouvais compter sur ton alcoolisme ! Et toi Fred, shot ? 

— Bah... ouais, pourquoi pas ?

Nina jubile et nous traine jusqu'à la cuisine. À contrecoeur, je tourne le dos à Théo et Justine pour la suivre. Elle cherche la vodka sur la table : elle était sûre de l'avoir vue quelque part. Elle finit par la trouver derrière une boite de biscuits apéritifs. Son excitation en remplissant les trois verres est contagieuse. On avale en même temps avant de s'étudier pour se moquer de celui qui aura la moins bonne descente. C'est Fred qui subit nos rires. 

Je progresse dans la soirée comme à travers une vitre. Je fais semblant de rire aux blagues et de comprendre ce qu'on me raconte. À chaque fois que quelqu'un vient nous parler, à Nina et à moi, je me demande s'il a vu la vidéo. Je me persuade que ça ne change rien, tout en étant incapable de ne pas l'imaginer, seul dans sa chambre, le téléphone à la main, mes couinements dans le haut parleur. À la manière dont il me regarde, dont il tourne certaines phrases, j'essaie de deviner. De toute façon, tout le monde l'a vue. Quand je dis que je m'appelle Charlotte, j'attend qu'ils se raidissent, qu'ils rient, qu'ils me demandent "Ah mais c'est toi ?". Ils ne le font pas. Ils n'ont pas besoin de le faire : je les ai déjà suffisamment imaginés pour ressentir ce que ça aurait provoqué. 

De toute façon, ils ont la même manière de m'observer. La même façon de laisser Nina et moi leur parler et de lorgner discrètement sur ce qu'on laisse apercevoir. Le bout de peau entre mon jean et mon t-shirt. Les jambes de mon amie. Leurs yeux se baissent et remontent aussi vite. Je souris quand ils s'attardent un peu trop longtemps sur la bretelle de soutien-gorge qui dépasse contre mon épaule. 

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant