2 - Bully

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Avec le retour du lycée arrive aussi le retour des activités extra-scolaires. Dans le cas de Nina et moi, c'est la gymnastique qui occupe nos mercredi après-midi depuis beaucoup trop longtemps. C'est même là qu'on s'était rencontrées. J'aurais adoré que notre origin-story consiste en une alliance soudaine pour martyriser une élève timide, mais les choses sont moins glamours que ça. Nous étions simplement toutes les deux dotés de parents trop occupés pour venir nous chercher à l'heure. Alors, chaque mercredi, on se retrouvait à attendre devant le gymnase tandis que nos camarades rentraient chez elles une par une. 

Ces longues après-midi de patience ont permis la naissance d'une amitié basée sur l'absence parentale. Ça nous faisait déjà deux points en commun. D'abord, la désertion des figures d'autorité nous rendait plus autonomes que nos congénères immatures dorlotés par leur famille. Ensuite, si nos parents n'étaient jamais disponibles, c'était parce que leurs métiers étaient trop importants pour être négligés, et donc qu'ils impliquaient des revenus confortables. Bref, Nina et moi étions deux gamines avec de grandes maisons sans surveillance. On s'est immédiatement entendues à merveille. 

Dans les vestiaires, on se change au milieu des autres filles. Il y a celles qu'on est contentes de retrouver, celles à qui on n'a jamais adressé la parole, et puis celles dont on se demande ce qu'elles foutent là. 

— Je meurs y'a encore Anaïs c'est un délire. 

— Un an ça lui a pas suffit, c'est grave d'être dans le déni à ce point !

Anaïs nous entend. Elle ne riposte pas, parce qu'elle sait que ça ne servirait à rien. Elle se contente de se replier sur elle-même, dans l'espoir de disparaître. Sauf que comme elle pèse à peu près le même poids que moi et Nina additionnées deux fois, sa silhouette n'a pas la discrétion suffisante pour se faire oublier. 

— C'est une dinguerie qu'ils la laissent encore venir, elle va finir par péter le matériel à force de monter dessus. 

— Imagines la poutre s'effondre en plein spectacle de fin d'année !

— Tu penses que c'est ses parents qui la forcent à venir ? 

— Ah peut-être ! Ça fait au moins deux heures supplémentaires où elle est pas en train de vider leurs placards à la recherche d'un sachet de bonbons. 

On éclate de rire en quittant les vestiaires pour rejoindre le gymnase. Certaines filles nous lancent de timides regards accusateurs. C'est fou d'être coincées à ce point. Personne n'est jamais mort à cause d'une blague. Certaines personnes se sont tellement nimbées d'un drap moral qu'elles se forcent à jouer les outrées dès que qui que ce soit s'autorise un peu plus de liberté. C'est le seul moyen de rentabiliser leur pureté militante. 

Sauf que moi, si j'ai envie de rentabiliser le fait de m'entrainer trente minutes par jour pour avoir ce corps en riant gentiment de ceux qui ne font pas autant d'effort, je devrais en avoir le droit. C'est le problème des autres s'ils ne sont pas à l'aise avec leur mode de vie, pas le miens. Personnellement, si un geek couvert d'acné se moque de moi parce que je ne connais War of Titans 3000, je ne vais pas me sentir blessée. Il faut assumer ses choix. 

Dans le gymnase, notre professeure nous accueille avec sa mine couverte de bienveillance pédagogique. Elle donne son discours de rentrée, accueille les nouvelles, et démarre l'échauffement. En nous étirant, Nina et moi observons Anaïs qui peine à se pencher suffisamment pour toucher ses orteils. 

— On dirait pas un insecte, genre ? Un peu les scarabées quand tu les mets sur le dos et qu'ils galèrent à se retourner !

— T'es horriiiiible ! Mais c'est vrai que c'est grave ça. Tu penses seulement qu'elle voit ses pieds dans la vie de tous les jours ou alors y'a que son ventre qui apparait quand elle baisse les yeux ? 

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant