13 - Tactiles

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Il doit être deux ou trois heures du matin. Aucune de nous deux n'a son téléphone à portée de main pour vérifier. En nous rendant aux toilettes pour vider une partie des quantités astronomiques d'alcool ingérées jusqu'ici, on s'aventure à l'intérieur d'une maison plongée dans la pénombre et le silence. Justine me guide en me tenant par la main pour que je n'ai pas besoin d'allumer. 

En traversant le couloir, j'entends le ronflement de son père qui provient de la chambre parentale. On s'enferme dans la salle de bain et Justine allume la lumière qui nous éblouies toutes les deux après cette courte escapade dans le noir complet. Sans aucune gêne, elle s'installe sur la cuvette et commence son affaire. Je détourne le regard en attendant mon tour. J'ai l'impression que la pièce tourne autour de moi. Je me demande si je ne vais pas vomir. 

—Meuf, Théo il doit venir à quelle heure déjà demain ? 

— Je lui ai dis onze heures à la base mais t'as raison, on sera clairement pas en état de se lever aussi tôt. 

— Ouaip faut retarder à au moins vingt heures là. 

— Déjà si on se réveille un jour ça sera un exploit. 

Elle récupère un peu de papier toilette et s'essuie avant de me laisser la place. Je m'assois, soulagée de pouvoir enfin me relâcher. Contrairement à moi, Justine ne se retourne pas. Adossée à l'évier, elle me regarde droit dans les yeux avec sa mine passablement épuisée. En fait, je ne sais même pas si elle me regarde, son regard fatigué paraissant s'évanouir dans le vide. 

— Tu me mates en train de pisser là ? 

— Je te mate peu importe ce que tu fais ma Chacha. 

— Par contre j'arrive pas quand tu me regardes donc si tu pouvais calmer tes ardeurs. 

Pour me narguer, elle se rapproche et s'installe juste en face de moi, la tête posée sur son poing, en posture de contemplation. Je lui envoie un coup de pied amical qui réussit à l'éloigner le temps de faire mes besoins. On parcours ensuite à nouveau toutes le couloir obscur de l'appartement pour se réfugier dans la chambre où l'odeur d'alcool nous saute aux narines. 

— Putain ça sent trop fort, ma mère a définitivement capté quand elle est entrée tout à l'heure. 

— Meuf, il suffit de voir ta tête pour capter que t'es torchée. 

— J'suis pas torchée par contre !

— Non t'es parfaitement sobre, t'es exactement dans l'état recommandé par le code de la route pour conduire. 

— Est-ce que si j'étais torchée, je pourrais faire ça ? 

Elle titube péniblement jusqu'à son piano, s'installe sur son tabouret et commence à jouer un morceau. D'abord amusée par la démarche, je me précipite pour l'arrêter en lui rappelant que ses parents dorment dans la pièce d'à côté. Elle laisse échapper un "ah oui putain" avant d'éclater de rire. De son tabouret, elle tombe sur le lit, encore totalement hilare, et articule maladroitement entre deux éclats : 

— Bon, j'suis peut-être un peu torchée, mais au moins autant que toi. 

— Non t'es clairement dans un pire état que moi. T'es une épave là !

Je me laisse tomber à ses côtés. On se blottit l'une contre l'autre pour profiter de la chaleur de nos corps. D'une main maladroite, Justine attrape mes doigts et les lève à la hauteur de ses yeux. Je me laisse faire. Elle les examine comme une enfant découvrant un nouveau jouet. Elle caresse tendrement ma paume, comme hypnotisée. 

— J'adore tes ongles. C'est pas trop chiant, long comme ça ? Moi j'ai jamais essayé à cause du piano et tout, mais je trouve ça trop stylé. 

— En vrai on s'habitue. 

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant