L'amie de mon ami

32 - Semblant

Plus je passe du temps avec Justine, et moins je sais si sa présence me rassure ou me frustre. La tête posée sur ses jambes, ses mains dans mes cheveux sont à la fois une bénédiction et une torture. J'aimerais que ses doigts aient la liberté de faire autre chose que d'enrouler mes mèches. Je caresse lentement sa cuisse, et je me contente de la douceur infinie de sa peau, à la manière dont certains se satisfont de ces patchs de nicotine supposés vous aider à arrêter de fumer. 

Nina, couchée à côté de nous, joue aussi avec mes cheveux. J'envie leurs doigts qui peut-être se cognent parfois en essayant de manipuler deux mèches voisines. Je me laisse porter par leur proximité. Parfois, mon amie pioche dans le paquet de bonbons et dépose sa sucrerie sur mes lèvres. Je la remercie d'un sourire avant de me mettre à mâcher. Je me sens comme un empereur romain à qui on sert le raisin par des grappes suspendues au dessus du visage. 

— D'ailleurs Charlotte, t'as envoyé ton portfolio finalement ou pas ? J'avais plus trop suivi ? Je sais juste que Justine t'avais aidé. 

— Je l'ai pas "aidée", j'ai sauvé son cul en faisant absolument tout à sa place. 

— Alors, déjà, c'est tes potes qui ont tout fait si on veut être précises. 

— Si elles ont passé plusieurs jours à se laisser exploiter en échange de quelques pizzas, c'est probablement plus par amitié pour moi que pour tes beaux yeux, donc à la fin c'est grâce à moi quand même !

— Mais si tu les as piégées dans mon naufrage, c'est probablement parce que je suis l'amour de ta vie, donc à la fin avec cette logique c'est juste grâce à moi si tout ça a marché. 

— Donc ça a marché ? demande Nina. T'as reçu les résultats ? On me dit plus rien maintenant !

— On l'a envoyé, mais faut encore attendre avant de savoir. Mais bon c'était tellement stylé que s'ils me prennent pas c'est juste qu'ils sont cons.

— Ou qu'ils ont réalisé que t'avais rien fait toi-même et que tu méritais clairement pas de voler la place de quelqu'un de vraiment compétent. 

— J'ai eu les idées et c'est moi qui figure sur les photos à la fin ! C'est pas comme ça que ça marche normalement dans la vie ? Tu imagines un truc, tu exploites des types pour le faire à ta place et ensuite tu mets ton logo dessus et tu récoltes tous les bénéfices. 

— Elle fait semblant d'être nulle en économie mais en fait elle a tout compris au capitalisme cette débile. 

— À force de passer du temps avec The L World elle va se transformer en bonne élève. À moins que ce soit à cause de Paul. Vous avez recouché ensemble d'ailleurs ? 

Je lève les yeux au ciel en riant. Depuis mes ébats avec mon professeur particulier, chaque séance a une ambiance étrange dont je peux difficilement me plaindre puisque je sais que j'en suis la première responsable. Il n'a pas fait la moindre remarque, mais c'est justement ça qui me perturbe le plus. Que Paul n'essaie pas de recommencer, de tenter une approche, même discrète, me fait me demander si j'ai vraiment été si nulle que ça. 

J'étais persuadée d'être une sorte de fantasme inaccessible. La façon dont il m'observait durant les premiers cours, dont il se laissait déstabiliser par mes minauderies, me faisait me sentir incroyablement désirable et hors de portée. L'élève jolie mais trop jeune. C'est comme si, en cédant enfin, j'avais brisé mon aura. J'étais passé de cet interdit infranchissable à une banale lycéenne un peu trop délurée. 

Peut-être que si je voulais réitérer l'expérience, je pourrais. Il suffirait de lui demander. Poser ma main sur sa jambe ou simplement me pencher pour l'embrasser. J'aimerais croire qu'il se laisserait faire sans hésiter, ravi. Mais je ne devrais pas avoir besoin de ça. C'est lui qui devrait être incapable de résister. Alors, par dignité, et bien que son charme continue d'entacher ma concentration durant certaines explications, je feins l'indifférence. J'ai déjà fait le premier pas, je lui laisse la suite.