27 - Dépendance

72 6 0
                                    

— Je rêve ou tu fais exprès de m'éviter là ? 

En me tirant par le poignet, Justine me force à lui faire face. Sa frange blonde crée une ligne droite, renforcée par ses sourcils, qui appuie la dureté de son regard azur. Il y a de l'accusation dans ses traits, mais de la détresse aussi. Elle ne me lâche pas et je n'essaie pas non plus de me libérer de son emprise. 

— Non je t'évite pas, tout tourne pas forcément autour de toi tu sais ? 

— Arrête Charlotte j'suis pas conne. 

— Je te laisse juste de la place avec Théo. Je voudrais pas saboter votre couple. 

Elle soupire. On fait à peu près la même taille mais elle me donne l'impression d'être bien plus grande que moi. Sa veste courte et son pantalon taille haute allongent ses jambes. On se toise avec une agressivité dont on aimerait probablement se débarrasser, si on savait comment faire. 

— Je suis assez grande pour gérer mon mec toute seule, merci. 

— Ah ouais ? On dirait pas. 

— Vas-y, qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Apprend-moi puisque c'est toi l'experte en mecs. 

— Fais pas semblant, tu sais ce qu'on a fait. 

— Et alors ? Franchement ça change quoi ? 

On s'est éloignée de la cohue des lycéens pour s'accorder un peu d'intimité et s'assurer que personnes n'écoute notre discussion. À quelques dizaines de mètres de nous, les adolescents continuent de quitter l'établissement, de fumer ou de se dire au-revoir. Justine n'a pas lâché mon poignet. Elle maintient la pression, comme si elle craignait encore que je m'enfuis en courant. 

— Si t'es pas prête à lui en parler, c'est que tu sais au fond que ça se fait pas. 

— Mais ça t'a jamais dérangée jusque là ! Je comprends pas pourquoi tu me fais une scène maintenant, alors qu'on... 

Ses mots se brisent dans sa gorge. Elle baisse légèrement les yeux. Sa main glisse de mon poignet à la mienne. Elle essaie de passer ses doigts entre les miens, malgré ma résistance. Le silence qui suit est chargé de non-dits qui semblent capables de la faire pleurer. On entend les rires des lycéens se perdre dans l'air. Quand, enfin, Justine ose parler à nouveau, la tristesse a entièrement remplacé sa hargne :

— Donc on s'arrête là ? On fait comme s'il s'était rien passé ? 

— Mais il s'est passé quoi en fait ? J'ai essayé d'y réfléchir et j'ai pas réussi à trouver. Qu'est-ce qu'il s'est passé, honnêtement ? 

— Pourquoi on serait obligées de le définir ? Je comprends pas pourquoi tu te prends autant la tête comme si c'était grave ou quoi. 

— Parce que peut-être que c'est grave en fait ! 

Elle serre ma main contre la sienne et je suis reconnaissante en sentant ses doigts m'enlacer. Je me noie dans l'océan saphir de ses yeux. Avec sa chevelure blonde et brillante, elle m'évoque une plage d'été, un idéal lointain et exotique, une carte postal après un retour de vacances. Une joie disparue. 

— Charlotte, je peux t'avouer un truc ?  

— Ça sert à rien mais vas-y... 

— Quand je t'ai vue la première fois, j'étais grave intimidée. Toi et Nina, vous étiez trop belles, trop drôles, trop sûres de vous, et puis vous étiez les meilleures potes de mon premier vrai mec. En fait, j'arrivais même pas à comprendre ce qu'il faisait avec moi au lieu d'être avec une de vous deux. Je me sentais comme une gamine, et vous m'angoissiez de fou... 

L'amie de mon amiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant